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Le Développement Durable est-il l’avenir du luxe ? par Leslie Pascaud, Directrice Marketing et innovation durable, groupe Added Value

Le Développement Durable  est-il l’avenir du luxe ? par Leslie Pascaud, Directrice Marketing et innovation durable, groupe Added Value

Lors de la conférence organisée le 16 septembre 2011 par l’Association des Professionnels du Luxe sur le thème : «Luxe vs Premium, quels enjeux derrière les mots ?», Leslie Pascaud est intervenue sur le thème du développement durable comme l’un des voies possibles du luxe. 100%media publie en exclusivité le contenu de son intervention.

Luxe et Développement Durable ? Deux concepts que d’aucuns considèrent comme contradictoires. Le terme même «luxe» ne dérive t-il pas du latin «luxus» qui signifie la débauche, l’excès, le faste ? Alors que selon Wikipedia, le Développement Durable nous invite à «répondre aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs».

Devrait-on en déduire que les concepts de luxe et le développement durable sont antinomiques ?
En terme d’image : oui. Selon une étude pour le salon 1.618 sur la perception des consommateurs, le luxe fait partie des secteurs les moins associés aux engagements du développement durable… derrière les banques et les pétroliers !
Pourtant, l’industrie du luxe est de facto de plus en plus exposée aux enjeux du développement durable et donc ne peut pas y être indifférente :
– La massification, à l’échelle mondiale, de certains produits de luxe interroge quant à leur impact sur l’environnement et la biodiversité : extraction de matières premières nobles, consommation d’énergie et d’eau pour des produits textiles tels que le cuir par exemple.
– Les délocalisations mettent en relief les problématiques sociales inhérentes aux conditions de travail dans les nouveaux lieux de productions.
– L’impact sanitaire  des matières qui contiennent des composants ou résidus toxiques : textile, aliments, cosmétiques.
– Des atteintes à la cohésion sociale : Le gouvernement chinois a  ainsi imposé des restrictions pour les communications des marques de luxe  par peur qu’elles «provoquent» les pauvres.
Dans le contexte actuel, il est évident que les marques de luxe doivent se sentir concernées par le sujet du développement durable.
Que se passe-t-il du côté des consommateurs de luxe ? Sont-ils sensibles aux problématiques du développement durable ?
Il apparait que, contrairement aux idées reçues, les consommateurs de luxe ne sont pas indifférents au développement durable. Selon une étude américaine de Scarborough Research, Les 5% de la population américaine qui sont les plus sensibles aux enjeux durables (appelés les «supergreenies») sont aussi des consommateurs de produits de luxe : ils dépensent plus de $500 pour des bijoux, cosmétiques et costumes et ils ont deux fois plus de chances de posséder une voiture de luxe.
Selon Graydon Carter, le rédacteur en chef de l’édition américaine de Vanity Fair : «Vis-à-vis de la nouvelle génération, les marques de luxe qui ne tiendront pas compte de la question environnementale perdront une grande part de leur attrait. Si une marque veut apparaître comme moderne, elle doit s’intéresser à ce sujet. L’ignorer serait démodé et équivaudrait à un retour au siècle dernier». Rendre le luxe durable consiste donc à la moderniser sans le dénaturer afin de lui permettre d’intégrer les attentes des nouvelles générations.

Des entreprises de luxe ont-elles pris les devants ?
Certaines marques de luxe ont d’ores et déjà entamé une  démarche durable : elles se sont jetées à l’eau à travers des tentatives qui se résument bien souvent à un travail de «backoffice» (i.e. des programmes plutôt au niveau institutionnel qui visent surtout à minimiser les risques).
Cartier  par exemple, dans le but de protéger sa réputation et d’assurer la pérennité de sa chaîne d’approvisionnement, est l’un des membres fondateur et le premier membre certifié du RJC (Responsible Jewellery Council). Voici comment le joaillier décrit sa démarche : «Nous considérons que nous avons à jouer un rôle dans la filière joaillière au sens large – et en particulier dans l’extraction minière et la production de métaux et minéraux précieux».
D’autres marques du luxe se sont attaquées au problème par le biais d’engagements institutionnels en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre. Elles ont fait réaliser des bilans carbone mettant en relief les activités les plus contributrices au réchauffement climatique.
Chanel a par exemple découvert que 50% de ses émissions carbone provenaient de ses emballages. Depuis, l’entreprise étudie des options d’emballages éco-conçus. Gucci, aussi sensible à ses impacts, a récemment reconçu tous ses emballages avec du papier FSC 100% recyclable.
Réduction d’impacts et de risques… contribution à l’image… Faut-il choisir ?
Heureusement, les initiatives mentionnées jouent un rôle important dans  la réduction des impacts environnementaux et sociaux. Pourtant, le développent durable peut plus pour les marques de luxe: il constitue une réelle opportunité de rentrer dans une dynamique positive de contribution à leurs images. Pour la saisir, il est intéressant d’analyser les valeurs qui relèvent à la fois du luxe et du développement durable. Selon Jean Noël Kapferer, expert français des marques, «le luxe est par essence très proche des préoccupations du développement durable car il se nourrit de la rareté et du beau et a donc intérêt à les préserver».
Added Value a récemment mené une étude qualitative sur les 7 valeurs fondatrices du luxe. Notre expérience approfondie en marketing durable nous a par la suite permis d’identifier celles qui sont potentiellement communes avec le développement  durable :
– L’intemporalité : le luxe est intemporel, il est par nature anti-jetable, anti-gaspillage, il traverse les saisons sans une ride. Indémodable, son essence même est de durer.
– L’unicité: Le luxe propose des produits uniques, sur mesure, qui permettent à l’acheteur de ne ressembler à personne d’autre. Les objets de luxe portent l’empreinte de la personne qui les a conçus et fabriqués. Ainsi, ils sont l’étendard d’un respect de l’artisanat
– L’âme : Le luxe est vecteur d’émotions ; ses objets sont chargés de sens et souvent d’une histoire… tout comme le développement durable qui, en se rattachant aux valeurs fondamentales – la nature et l’homme,  donne du sens aux gens qui s’intéressent à la préservation du monde qui les entoure.
Cette cohérence peut sembler acquise au luxe qui pourrait ainsi se targuer d’être les M. Jourdain du développement durable. Ce serait oublier le formidable potentiel de catalyseur de créativité qu’est le développement durable : en renforçant les valeurs fondamentales du luxe, il lui permet de mieux se différencier des marques premiums.

Luxe+durable, une synergie heureuse
Quand le luxe et le durable se rencontrent et se renforcent l’un l’autre, il ne s’agit plus d’un luxe «en théorie» plus durable mais d’un luxe consciemment et volontairement plus durable. Un luxe profond, qui s’extrait des schémas classiques de consommation, rejetant la dépense inutile et prenant ainsi entièrement conscience de la fragilité des choses. Par conséquent, le luxe profond défend le prix de la rareté, du talent artisanal et des matériaux nobles. Il peut sublimer le développement durable  de son carcan bien pensant et ennuyeux pour le rendre «aspirationnel». Par sa créativité et sa beauté, ce luxe durable inspirera le rêve.
Voici quelques exemples qui esquissent le devenir du luxe durable
– La gamme New Vintage III d’Yves Saint Laurent : le recyclage se modernise en un «up-cyclage» bien plus tendance. La gamme ré-exploite des tissus inutilisés des saisons passées en les appliquant à des silhouettes emblématiques de la griffe. Ils réinterprètent ainsi la marque, tout en gardant son authenticité.
– Le nouveau téléphone AE+ Y d’Aesir est conçu par Yves Béhar (le designer du portable à 100 Euros) pour être aussi intemporel qu’une montre. Ce téléphone bijou est «upgradable» afin de pouvoir le garder tout en restant à la pointe de la technologie.  
– La marque Mulberry a mis en place une stratégie qui s’inscrit dans la protection et le renforcement de l’artisanat local. Son programme de compagnonnage pour sauvegarder  le métier de maroquinier constraste avec un Burberry qui a suscité l’émoi des Britanniques en délocalisant ses usines en Chine.  
– L’investissement de la maison Hermès dans la création de la marque Shang Xia, une nouvelle marque chinoise. En soutenant  l’artisanat local en Chine, Hermès propose une réinterprétation moderne  d’un savoir-faire authentique.
– Le  modèle d’innovation sociale version luxe proposé par John Hardy (une marque de bijoux faits mains). L’atelier, situé dans un écrin de nature, entouré d’une ferme bio et d’une école pour les orphelins offre à la « famille » des artisans des conditions de travail propice à la fabrication d’objets de beauté dans une atmosphère de bien-être.
Une nouvelle génération de designers est d’ailleurs en train de redéfinir l’âme du luxe. Katharine Hammet, Stella McCartney et Linda Loudermilk sont aussi intransigeantes sur les valeurs de justice et de responsabilité que sur la qualité et l’esthétique.  Il est  important de noter que pour elles,  le luxe durable ne peut-être qu’avec un «L majuscule» et un «d minuscule». Stella McCartney explique cette priorisation très clairement quand elle refuse le qualificatif de «styliste écolo qui cherche à faire des vêtements chics» pour celui de «créatrice de luxe avec des connexions écolos».
Ce nouvel esprit du luxe se traduit aussi à travers les derniers concepts de loisir tels le«glamping» (camping glamour) proposé par des marques comme Luxethika ou Edenismes. Tout est pensé pour réconcilier la réduction de l’impact environnemental avec l’aventure et le confort.  (il semblerait cependant que leurs concepts ne soient pas tout à fait aboutis car les transferts de certains clients se font en hélicoptère !)
Les exemples ne manquent pas à travers tout type de catégories :
– La créatrice Perrine Rousseau s’atèle à la création d’une gamme de tissu d’ameublement aussi raffinés qu’écologique.
– Belle initiative que celle de 475 chefs Relais & Châteaux qui ont décidé de remplacer le thon rouge dans leurs recettes par des espèces moins menacées mais tout aussi délicieuses !  
– Le développent durable, concept austère et trop contraignant ? BMW s’est fixé un objectif clair : ne jamais sacrifier au plaisir de conduire. C’est avec cette ambition qu’a été développée  la technologie Efficient Dynamics : le plaisir de conduire avec le souci de la consommation et des émissions en moins.
On voit à travers tous ces exemples que les opportunités d’innover durablement dans le luxe sont nombreuses. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit les clients qui exigent ce luxe durable. L’impulsion doit venir des entreprises, comme l’affirme François-Henri Pinault

:  «Si nous attendons que les consommateurs fassent du développement durable une condition lors de leurs achats, alors rien n’arrivera… C’est à nous d’œuvrer à ce que les produits écologiques deviennent la nouvelle norme».
Il est évident et inévitable que le développement durable fera partie de l’avenir du luxe. Aux marques pionnières de montrer la voie. Nul autre ne peut relever le défi de transformer les objets durables en émotion forte et insuffler «l’âme» par la même occasion.

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