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Bertrand Beaudichon (Initiative France) : « L’engagement se fait dans la rareté de l’objet publicitaire »

Bertrand Beaudichon (Initiative France) : « L’engagement se fait dans la rareté de l’objet publicitaire »
Bertrand Beaudichon - Crédit : DR

Interview du lundi. Avec des ambitions européennes et un bureau aux Etats-Unis propulsant l’agence à la troisième place du baromètre « New Business » publié par COMvergence pour le premier semestre 2023, Initiative France (IPG Mediabrands – Groupe Interpublic) a préféré brancher son GPS aux attentes des consommateurs, sans pour autant se précipiter sur les appels d’offres. A sa tête depuis cinq ans, Bertrand Beaudichon, CEO d’Initiative France est notre invité du lundi.

The Media Leader : Au premier semestre 2023, Initiative occupe la troisième position du baromètre « New Business » publié par COMvergence grâce au gain de Constellation Brands aux États-Unis (534 millions de dollars). L’année dernière Initiative occupait la sixième place. Comment accueillez-vous cette nouvelle et quelles sont les répercutions en France ?

Bertrand Beaudichon : Je ne suis pas surpris. Nous avons internationalement un taux de succès fort en termes de conversion business. Nous sommes d’ailleurs très sélectifs sur les appels d’offres auxquels nous répondons. L’un des sujets du réseau Initiative, c’est d’être local et mondial à la fois.

Nous souhaitons d’ailleurs, en Europe, constituer une task force de newbiz pour arriver à avoir une force de frappe en termes de développement au niveau européen.

Le gain de Constellation Brands profitera aux US, mais c’est une victoire majeure pour notre réseau.

Nous souhaitons maintenant équilibrer notre portefeuille en France, en Italie et en Allemagne

 

En France, cela fait cinq ans que l’on essaie de réveiller la marque. C’était une belle endormie. Nous avons pour cela investit massivement sur du planning stratégique, dans la capacité de compréhension des consommateurs et des audiences à valeurs de nos marques. Avec l’approche autour des cultures, nous permettons aux annonceurs de placer les nouveaux usages et les nouveaux totems de leurs consommateurs au cœur du nouveau système marketing.

Beaucoup de modèles marketing sont en mal de transformation et donc beaucoup d’annonceurs cherchent un partenaire pour les aider.

Nous avons une dynamique qui nous porte depuis cinq ans. Nous souhaitons maintenant équilibrer notre portefeuille en France, en Italie et en Allemagne, sous oublier d’équilibrer la relation autant avec les clients internationaux qu’avec les clients locaux.

The Media Leader : Les résultats du dernier Bump annoncent un marché publicitaire stable, avec une augmentation des investissements pub en CTV ou en cinéma. D’autres secteur comme la TV sont en baisse. Comment faire pour naviguer dans un marché aussi inégal et quelle est la tendance pour la fin d’année ?

Bertrand Beaudichon : L’agilité est clé. Lorsque l’on regarde les évolutions à venir en linéaire et de toutes les nouvelles formes de télé, il faut continuellement former les annonceurs à l’achat d’espaces TV.

Ensuite, il faut une proximité client. C’est pour cela que j’ai été très sélectif sur les pitchs. Je n’ai pas voulu en faire beaucoup cette année parce qu’il faut plus que jamais passer du temps auprès des clients pour tester, apprendre, convaincre, changer et transformer.

Ce qu’il y a de commun dans toutes les crises que l’on a traversé ces derniers temps, c’est la rapidité à laquelle les cultures évoluent au sein de la société française, au sein d’une industrie et vis-à-vis des attentes des consommateurs. Il faut avoir un GPS branché sur eux en permanence pour être capable d’identifier ces changements, pour permettre à la marque d’être plus pertinente.

Il faut plus que jamais passer du temps auprès des clients pour tester, apprendre, convaincre, changer et transformer

Acheter le plus de parts de voix possible sur une cible socio démo la plus large possible ne fonctionne pas. Il nous faut identifier les communautés qui représentent le plus de potentiel business et on a une approche unique pour le faire. C’est d’avoir des capteurs branchés sur le réel en permanence, soit sur une industrie, soit sur la société française en général.

Nous allons avoir des difficultés à rattraper un premier semestre très mauvais. C’est vrai dans l’ensemble du marché des médias, avec en moyenne -10% à -15% d’investissements. Le deuxième semestre, heureusement, est en croissance et se porte mieux.

Idem pour la TV, qui se montre très résiliente. Elle a eu un premier semestre très difficile avec une baisse des audiences et donc des investissements. Cela profite directement au digital et surtout à la vidéo à l’intérieur du digital.

Ce sont des tendances qui s’accélèrent avec des périodes de crise comme celle qu’on est en train de vivre en ce moment, mais qui sont d’abord structurelles. D’où le fait d’hybrider les acheteurs pour être capable de répondre à l’évolution des médias.

The Media Leader : La télévision a-t-elle encore un avenir dans l’écosystème publicitaire, face à des plateformes de streaming qui investissent le secteur, mais aussi les acteurs digitaux et social media ?

Bertrand Beaudichon : La télévision va être témoin d’un changement majeur : la vente au CPM, et elle veut que cela se voit.

Elle se montre le média le moins cher pour travailler toutes les étapes du purchase funnel, de la notoriété, de la considération et de l’achat. C’est pour cela qu’il y a une demande encore très forte de télé.

Le digital risque de pâtir de ce passage au CPM et la télé souhaite créer cet effet de comparaison qui leur est forcément favorable, parce qu’on va bien voir que le CPM de la télé est beaucoup moins élevé que le CPM de la plupart des plateformes digitales, qui sont en forte croissance en ce moment, avec en plus un contexte d’exposition qui n’est pas le même.

Et je comprends leur intérêt, avec la non fusion entre TF1 et M6, le sujet du financement des contenus et quelque chose qui est extrêmement marqué chez eux. Le business model de la fusion entre les deux faisait assez sens.

La télé a plus d’avenir que jamais, même si une part de plus en plus importante est en train de se consommer en replay, de façon décalée ou en CTV

Aujourd’hui, nous voyons bien que dès qu’il y a un grand carrefour d’audiences, la TV est le seul média qui est capable de mobiliser de façon instantanée une cible, quelle que soit celle qu’on regarde, sauf si elle est un peu trop jeune, de façon massive.

Donc oui, la télé a plus d’avenir que jamais, même si une part de plus en plus importante est en train de se consommer en replay, de façon décalée ou en CTV.

Enfin, en France on peut faire de la TV adressable, on peut faire de la TV connectée de façon un peu industrielle et un peu adscale et donc je crois assez bien, les chiffres le prouvent, à la capacité de résilience de ce média.

The Media Leader : Les résultats du dernier Bump annoncent que le paid social passe devant le display dans les investissements publicitaires. Avec les constantes régulations européennes concernant les réseaux sociaux et leur mutation, à l’image de X et Meta, le paid social est-il vraiment l’avenir ?

Bertrand Beaudichon : D’abord, nous sommes très sélectifs sur les plateformes qu’on utilise. Nous avons envoyé une recommandation très claire à tous nos annonceurs sur l’usage de Twitter. Nous ne leur recommandons pas d’aller dessus tant que la politique de modération, anti-fake news du nouveau propriétaire de X n’est pas clarifiée.

Nous avions eu le même sujet sur TikTok il y a trois ans. Nous avons d’ailleurs publié, comme chaque année, un audit de la responsabilité sociétale des médias. La première version sur TikTok montrait qu’ils péchaient dans les process de modération ou encore dans les mesures de protection de l’enfance. Petit à petit, ils ont fini par montrer patte blanche. Nous avons donc commencé à recommander TikTok à nos annonceurs.

Donc oui, le social media est en demande forte pour peu que la sécurité du contexte soit assurée. Elle profite d’ailleurs mécaniquement d’une croissance très forte.

Meta, c’est un peu gentrifié, un peu trop massifié, cela reste peu cher et puissant. Néanmoins, Meta est moins utilisé pour la capacité d’engagement contrairement à Snap, TikTok ou Pinterest. Twitch est aussi en croissance, et a une capacité de mobilisation forte et instantanée.

Aujourd’hui, l’essentiel des marques n’ont pas de sujet de notoriété, mais un sujet de considération. La capacité de s’immiscer dans des contenus qui vont permettre de créer de l’affinité avec les cibles qu’elles veulent toucher est le sujet marketing numéro un.

Le social media permet cela. Il travaille le haut de funnel, mais surtout très bien le milieu de funnel et la considération.

The Media Leader : La crise de l’attention est dans tous les discours. Est-elle réelle ? N’a-t-on clairement pas une problématique d’adressabilité ? Existe-t-il des leviers pour retrouver ou capter cette attention ?

Bertrand Beaudichon : La mesure ! Oui, il y a une crise de l’attention car nous sommes sur-sollicités, surtout dans le digital. C’est l’un des problèmes : l’encombrement. Nous nous sommes aperçus qu’une campagne certes achetée, pas chère, évoluant dans un univers super encombré perd en efficacité marketing.

Le marché a commencé à s’organiser sous l’impulsion des acteurs produisant des contenus, ne souhaitant pas être de simples tuyaux mais montrer leur valeur ajoutée. Nous avons donc sorti une étude pour un de nos clients où nous avons calculé le coût de la minute attentive. Le ranking entre les investissements que l’on nous demande de faire et le coût de la minute attentive est exactement l’inverse au coût du CPM.

C’est presque un sujet de survie de l’écosystème français : les contenus exclusifs attirent une minute attentive qui est beaucoup moins chère qu’une minute attentive sur YouTube ou Meta.

C’est un combat que l’écosystème par opposition aux simples diffuseurs qui captent l’essentiel de la dépense publicitaire.

The Media Leader : Twitch réussit le pari de l’attention et de l’engagement, et ce, de manière exponentielle. Comment l’analysez-vous ?

Bertrand Beaudichon : L’exclusivité, la pertinence et la connaissance de leurs contenus.

Meta, par exemple, a perdu la capacité d’identification et d’engagement de ses communautés. Ce n’est pas un hasard si toutes les plateformes qui fonctionnent le mieux sont des plateformes qui n’existaient pas il y a trois ans. Elles ont inventé une nouvelle formule, par opposition à ce qui leur préexistait.

Ce n’est pas un hasard si toutes les plateformes qui fonctionnent le mieux sont des plateformes qui n’existaient pas il y a trois ans. Elles ont inventé une nouvelle formule, par opposition à ce qui leur préexistait

Twitter était dans ce cas-là avant de changer complètement de ligne éditoriale. Le réseau social fonctionnait très bien en termes d’outils publicitaires, au UK par exemple, c’était la plateforme sociale numéro un.

Objectivement, dans les grands gagnants du moment, c’est Twitch qui doit s’organiser pour vendre, pour peu que ce soit un outil publicitaire. C’est aussi pour cela que ça fonctionne bien. C’est un endroit où la place dédiée à la pub est extrêmement faible. Moins d’encombrement publicitaire, donc plus d’efficacité.

L’engagement se fait aussi dans la rareté de l’objet publicitaire.

The Media Leader : Le fait que Twitter souhaite devenir payant peut-il engendrer une rareté publicitaire ?

Bertrand Beaudichon : L’effet ne serait pas identique car l’environnement n’est pas brand safe.

The Media Leader : L’un de vos clients, Amazon Prime Video, va ajouter des publicités à ses contenus à partir de 2024 aux Etats-Unis, devenant ainsi la plus chère des plateformes de streaming. Est-ce une aubaine en tant qu’agence média et comment comptez-vous les accompagner sur le marché français face à d’autres géants qui ont déjà entamé leur mue publicitaire ?

Bertrand Beaudichon : C’est une aubaine, mais cela dépend à quel prix ils vont le commercialiser. Ils ne doivent pas commercialiser au même prix que Netflix au lancement de l’offre avec pub (environ 50€ du CPM).

Mais le marché se régule par l’effet de l’offre et de la demande. Le fait que les plateformes offrent des espaces publicitaires est une aubaine car cela permet d’aller chercher les déserteurs de la télé, partis massivement sur des plateformes de streaming. Elles proposent des contenus très spécifiques qui permettent d’aller cibler des points de passion de façon beaucoup plus précise. Nous avons besoin de retrouver cet espace qui se rarifie… pour peu que le prix soit à peu près comparable à celui que l’on est prêt à payer sur une télé linéaire.

Nous avons commencé à conseiller Amazon Ads sur sa tarification. Nous avons effectué notre travail de recommandation sur les best cases et les best practices. Mais c’est une décision qui n’appartient pas à Amazon Ads France. Elle va se décider mondialement.

The Media Leader : Quelles sont les best practices ?

Bertrand Beaudichon : Les best practices, c’est de ne pas perdre de vue le prix de l’offre. L’une des choses qui nous a surpris, c’est qu’il y avait assez peu d’écart de prix entre l’offre sans pub et l’offre avec pub de Netflix. Ce qui a été de fait une limite à son lancement. Il faut d’abord avoir un tarif premium plus important. Et ensuite, en termes de commercialisation, pour intéresser les annonceurs, le tarif ne peut pas être dix fois plus cher qu’un contenu télé linéaire.

Puis, les modes de commercialisation avec une promesse de mobilisation et de reach puissante. Donc il faut avoir un parc d’abonnés suffisant. Il faut donc d’abord recruter une base suffisamment importante.

Pour éviter l’effet déceptif qu’il y a eu à la fin de l’année dernière pour les premiers qui se sont lancés sur Netflix.

The Media Leader : Comment accueillez-vous la future adoption du CPM en TV ?

Bertrand Beaudichon : Je comprends très bien le besoin des chaînes de télé d’abandonner leur étalon or, le coût du GRP, pour devenir comparable avec les grandes plateformes digitales.

Aujourd’hui, il y a déjà un sujet d’écart de prix entre le prix de TF1 au CPM et le prix de YouTube. Je comprends donc leur besoin de remonter leurs tarifs. Il faut créer un effet de comparaison entre le coût du digital (en moyenne 15€) et le coût de la télé (entre 5€ et 8€ du CPM).

Dans leur organisation interne, aujourd’hui, TF1 ou M6, devant la baisse naturelle d’audience, adressent le marché publicitaire avec des actifs digitaux. Si l’on veut accompagner la baisse structurelle des audiences sur le linéaire, ils ont besoin eux-mêmes, pour simplifier l’acte de vente auprès des agences, d’unifier leur monnaie. C’est le sens de l’histoire. Même si cela va créer un effet d’inflation mécanique.

The Media Leader : Médiamétrie va commencer en janvier 2024, la mesure des plateformes de streaming. Est-ce une bonne nouvelle ?

Bertrand Beaudichon : C’est absolument indispensable et cela aurait dû être fait depuis longtemps. Elles représentent déjà une part d’audience très significative qui échappe à toute mesure, à tout contrôle et à toute transparence. Le marché a besoin de transparence et de comparabilité.

Dès l’instant où les plateformes passent à un modèle avec publicité, qu’elles souhaitent adresser le marché publicitaire, il faut jouer le jeu des études d’audience et de leurs audits avec le CESP.

The Media Leader : Les événements sportifs en France vont booster le marché publicitaire en 2024. Voyez-vous cela comme un moment fort et éphémère amené à décroître ou est-ce possible de rendre cette dynamique pérenne pour 2025 ?

Bertrand Beaudichon : C’est assez conjoncturel. Nous voyons d’ailleurs que la baisse du marché publicitaire est beaucoup moins forte en France en prévision de 2023 et 2024 que dans le reste de l’Europe. C’est un effet d’aubaine. Cela permet, à un moment donné, de mettre la France au cœur du système des annonceurs.

Je pense, si tout se passe bien, que la France bénéficiera à plus long terme de cette dynamique.

The Media Leader : Cinq ans après le changement de direction, comment se porte Initiative et quelle est sa feuille de route ?

Bertrand Beaudichon : Initiative va bien. Même très bien. Nous avons connu une première phase où l’on a triplé la taille de l’agence, le nombre de salariés, tout en assurant une satisfaction des collaborateurs.

Il y a deux chapitres, dans notre feuille de route. Premièrement, équilibrer, dans notre portefeuille, des clients locaux et internationaux. L’autre élément, c’est de contribuer activement à la constitution d’un hub européen.

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