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Comment le marché publicitaire tente de se défaire du casse-tête des blocklists

Comment le marché publicitaire tente de se défaire du casse-tête des blocklists
Les travaux de l’interprofession se concentrent sur la rationalisation des listes de mots-clés actuellement utilisées par les annonceurs. Image générée par l'IA.

ENQUÊTE. L’Udecam, l’Apig, l’Union des marques et quelques mesureurs et DSP se sont rassemblés au sein d’un groupe de travail pour trouver une issue aux listes de mots-clés trop généralistes qui bloquent les inventaires des médias d’actualité.

À en croire ses membres, la démarche est historique. « Alors qu’il y avait auparavant des débats houleux et que les acteurs se rejetaient la faute les uns sur les autres, il y a désormais un consensus sur le constat et les solutions », se félicite Clément Bascoulergue, country manager France de la société d’advérification Integral Ad Science (IAS). Sa société fait partie du groupe de travail commun initié par l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) avec les agences médias (Udecam), les annonceurs (UDM), les régies publicitaires (SRI), les principales sociétés d’advérification (Moat, Adloox, DoubleVerify) et même Google pour son activité DSP. L’objectif : parvenir à élaborer, d’ici l’automne 2024, des lignes de conduite sur l’usage des listes de mots-clés dans l’achat média.
Leurs limites avaient déjà été pointées à l’époque Covid, lorsque les sites médias évoquant la pandémie avaient vu leurs inventaires filtrés par défaut, mettant en péril leur équilibre économique alors déjà fragile. Aujourd’hui, alors que les crises géopolitiques et économiques se succèdent, la situation ne s’est pas améliorée.

Un accord sur un socle de mots-clés ?

Les travaux de l’interprofession se concentrent sur la rationalisation des listes de mots-clés actuellement utilisées par les annonceurs. Les agences médias membres de l’Udecam ont mis en commun leurs blocklists pour parvenir à un socle de termes issus des 12 catégories communément admises (terrorisme, contenu sexuel, armes à feu…). Ensuite, « nous faisons tourner des modèles d’intelligence artificielle, élaborés avec ChatGPT, pour contextualiser ces mots-clés et générer des expressions qui donnent une indication sur le sens dans lequel ils sont utilisés », détaille Jean-Baptiste Rouet, chief digital & programmatic officer de Publicis Media et président de la commission digitale de l’Udecam. Cela aboutira à une nouvelle liste commune, « beaucoup plus longue mais plus fine, précise-t-il, qui ne fera pas débat ».

À ce socle commun pourront être ajoutées d’autres expressions de mots-clés relevant de la brand suitability, pour éviter aux marques de se retrouver dans des contextes non pas préjudiciables mais peu adaptés. Le groupe de travail vise à ce que cette liste soit utilisée dans l’activation des campagnes (versus en post-bid lors de la mesure des campagnes), dans les outils d’achat car c’est là que s’effectue principalement le blocage des inventaires, constatent les membres du groupe de travail interrogés par The Media Leader.

Reste ensuite à passer des engagements aux actes. « Un guide de bonnes pratiques ce n’est pas coercitif, il faudra donc piloter les efforts dans le temps », prévient Florent Rimbert, responsable développement numérique de l’Apig. Or, d’un côté, les éditeurs craignent pour leur modèle économique, le blocage des mots-clés étant responsable de 20 à 40 % de pertes de revenus publicitaires par an chez les éditeurs français, selon une estimation partagée par Béatrice Lajouanie, directrice générale des Échos et présidente de l’Apig.
De l’autre, les annonceurs font très attention aux contextes de diffusion de leurs campagnes, échaudés par les nombreux scandales depuis la fin des années 2010 sur le financement de vidéos terroristes ou pédopornographiques par la publicité. Ces deux visions devront être réconciliées ; une tâche pas encore gagnée, le chiffre de 20 à 40 % étant par exemple remis en question par les acheteurs qui avancent que « tout est mis sur le dos des blocklists ».

Vers la fin des mots-clés ?

D’autres pistes sont étudiées par le groupe de travail : « mettre à jour fréquemment ces listes, supprimer certains mots-clés qui peuvent être discriminants (liés à la religion, l’orientation sexuelle ou l’opinion politique), empêcher par défaut le blocage des pages d’accueil des sites médias », énumère Florent Rimbert. Mais surtout, d’autres outils que les blocklists.
IAS promeut ainsi depuis plusieurs années la bascule sur des outils de sémantique, capables d’analyser le contexte des articles dans lesquels les publicités sont diffusées. Problème : ces solutions ont un coût en pré-bid, là où les catégories de mots-clés dans les DSP sont incluses par défaut. « L’impact sur le business n’est pas neutre », regrette Jean-Baptiste Rouet.

Le principe des whitelists est aussi poussé, notamment par Reporters sans frontières, dont le label de qualité des médias, la Journalism trust initiative (JTI), certifie désormais plus d’un millier de médias dont TF1 ou le groupe Ebra en France. « Les outils d’achat peuvent intégrer la liste JTI, Microsoft le teste actuellement », explique Thibaut Bruttin, adjoint du directeur général de l’ONG. Si la certification ne fait pas consensus chez les éditeurs, qui estiment déjà donner des gages de leur responsabilité, les whitelists sont par ailleurs souvent utilisées en complément de blocklists, ce qui réduit encore plus drastiquement les inventaires accessibles.
Le marché publicitaire est donc encore loin de son « but ultime », comme l’espère Clément Bascoulergue, « que plus aucun annonceur n’utilise de mots-clés ».

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