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Corinne Mrejen (Les Echos – Le Parisien) : « Les groupes médias ne peuvent plus se contenter d’être observateurs des transformations »

Corinne Mrejen (Les Echos – Le Parisien) : « Les groupes médias ne peuvent plus se contenter d’être observateurs des transformations »
Ce mercredi, Les Echos – Le Parisien et franceinfo donnent le coup d’envoi de Médias en Seine. De gauche à droite : Corinne Mrejen et Jean-Philippe Baille (crédit : Radio France / Christophe Abramowitz).

Dans un contexte de défiance envers les médias, de la percée fulgurante de l’IA et du dérèglement climatique, la sixième édition de Médias en Seine compte porter ces sujets à bras-le-corps. À cette occasion, Corinne Mrejen, directrice générale pôle Les Echos-Le Parisien Partenaires et chief impact officer, et Jean-Philippe Baille, directeur de franceinfo, ont accordé un entretien à The Media Leader.

The Media Leader : Ce mercredi, Les Echos – Le Parisien et franceinfo donnent le coup d’envoi de Médias en Seine. Sa première édition s’est déroulée en 2018. Quels changements majeurs ont eu lieu en 6 ans ? Comment le paysage médiatique a-t-il évolué en parallèle ?

Corinne Mrejen : L’originalité de l’événement, c’est d’abord une coproduction entre deux groupes médias, l’un privé, l’autre public, le groupe Les Echos-Le Parisien et franceinfo. Médias en Seine a pour vocation d’être le 1er festival international pour imaginer les médias de demain. Depuis sa création, l’événement décrypte les mutations de l’écosystème, faisant dialoguer journalistes, experts et citoyens. C’est l’opportunité de partager des idées et des pratiques nouvelles, fabriquer du lien, innover, parler à tous les publics et réfléchir aux modèles venus d’ailleurs.
Autre constance, la nature même du contenu proposé qui mêle autant la question du traitement éditorial des médias, que la question de leurs modèles économiques. Les différents formats d’intervention (conférences, tables-rondes, masterclasses, etc) permettent d’avoir une mixité des points de vue et de privilégier la co-construction avec le public. Nous voulons que le public soit partie-prenante de la discussion et de la réflexion. Médias en Seine a toujours su capter l’attention d’un public jeune. Pour l’édition 2023, nous avons encore renforcé nos partenariats avec des écoles de journalisme pour donner la parole aux étudiants. Les étudiants d’aujourd’hui sont les professionnels des médias de demain. Les engager, stimuler la créativité et l’imaginaire de cette future génération, est une façon de créer un nouvel espace de dialogue, de créer du lien et de la confiance.

Jean-Philippe Baille : Comme chaque année, Médias en Seine est ancré dans l’actualité. Cette 6e édition a pour thème fil rouge « l’ère des disruptions ». Nous y sommes confrontés à tous les niveaux : écologique avec l’accélération du dérèglement climatique, technologique avec l’émergence accélérée de l’IA, géopolitique avec le retour de la guerre en Europe et plus récemment au Proche-Orient, économique avec le retour de l’inflation… Les médias « historiques » ou enfants de la vague digitale sont impactés, challengés et embarqués dans une nouvelle phase d’innovations. A travers ce vaste chantier, nous allons éclairer et mettre en débat 3 grands axes : réinventer l’information, réinventer le divertissement et réinventer la régulation.
Pour en débattre, le festival réunira les dirigeants des plus grands groupes français (Mediawan, Le Monde, France TV, Prisma Média, Le Figaro…) mais aussi de nombreux intervenants internationaux inspirants pour nos médias. Cette journée est aussi pensée pour les plus jeunes générations, les futurs professionnels de ces secteurs. Nous allons par exemple investir un espace de masterclasses pensé avec et pour les étudiants, à la Maison de la Radio et de la Musique.

Nous allons éclairer et mettre en débat 3 grands axes : réinventer l’information, réinventer le divertissement et réinventer la régulation.

Jean-Philippe Baille

The Media Leader : Le 3 octobre se sont lancés les états généraux de l’information. La question de la confiance dans les médias fait partie des thèmes abordés. Quel est votre ressenti sur la situation de défiance que traversent les médias en ce moment ? Quelles sont les solutions pour y remédier ?

J-P.B : Nous ne pouvons le nier, et le prochain baromètre de confiance dans les médias, qui sera dévoilé par La Croix-Kantar en ouverture de Médias en Seine, pourrait bien confirmer la persistance d’une défiance. Les temps ont changé, c’est à nous de faire un pas vers les citoyens qui, à raison, se méfient dans un monde où information et désinformation se mêlent et brouillent les repères. Il nous faut redonner aux Français confiance en leur information en étant plus transparents sur notre façon de travailler. C’est dans cet objectif que nous avons rappelé il y a quelques jours, en interne comme à nos public, les principes déontologiques qui nous guident : toujours s’en tenir à des faits vérifiés, être le plus précis et le plus fiable possibles. Ces règles, nous les rappellerons encore et encore.
Par ailleurs, à l’occasion de Médias en Seine demain, nous organiserons une journée portes ouvertes sur nos antennes. Nous expliquerons notre métier et ses difficultés. Et durant le festival, nous participerons à la réflexion autour des états généraux de l’information avec des thématiques en résonance avec les groupes de travail en cours.

The Media Leader : La Croix présentera les résultats du baromètre « La confiance des Français dans les médias » à l’ouverture de Médias en Seine. Pourquoi ouvrir sur ce thème ? Quelles sont les tendances du baromètre ?

J-P.B : Nous sommes très fiers de proposer en exclusivité la présentation des résultats de ce baromètre La Croix-Kantar auquel Médias en Seine s’est associé. C’est une étude de référence depuis plus de trente-cinq ans qui s’inscrit parfaitement dans la raison d’être de Médias en Seine : mesurer l’évolution des pratiques et tendances, en évaluer la crédibilité et donner à voir la relation entre les Français et leurs médias. Médias en Seine sera l’occasion de débattre des résultats qui présenteront plusieurs nouveautés : l’investissement financier que les usagers sont prêts à consentir pour disposer une information de qualité ; le paradoxe entre l’usage des réseaux sociaux et la grande défiance à leur égard ; le recours à l’intelligence artificielle.

The Media Leader : Les médias accélèrent sur le numérique. Quel regard portez-vous sur l’IA ?

C.M : L’IA sera au cœur de la programmation de Médias en Seine. Nous aurons notamment la chance d’avoir avec nous Brando Benifei, Eurodéputé co-rapporteur de la législation sur l’IA.
C’est évidemment un sujet important pour le groupe Les Echos-Le Parisien. Sous l’impulsion de Pierre Louette (PDG groupe Les Echos-Le Parisien), nous avons été le premier groupe de médias à rendre publics nos engagements concernant son utilisation au sein de nos rédactions. Nous nous engageons par exemple à ne pas utiliser d’IA générative (ChatGPT, Midjourney…) pour le texte ou l’image sans supervision humaine.
Si on prend le sujet essentiel de la data, l’IA représente un apport incroyable pour la connaissance des publics. Notamment pour comprendre, anticiper et prédire les comportements des abonnés numériques. C’est l’un des chantiers menés par Violette Chomier (chief data officer du groupe Les Echos-Le Parisien), chargée d’encadrer ces sujets dans le groupe.

L’IA représente un apport incroyable pour la connaissance des publics. Notamment pour comprendre, anticiper et prédire les comportements des abonnés numériques.

Corinne Mrejen

J-P.B : Si le sujet est très actuel avec l’essor des IA génératives, il ne l’est pas pour Radio France qui utilise depuis longtemps des outils d’IA lui permettant par exemple d’automatiser les scripts des émissions, générer les cartes de votes lors des élections nationales, etc… Nous abordons donc cette question avec pragmatisme : nous savons que l’IA peut apporter des choses, nous permettre de faciliter certaines tâches, mais nous prenons aussi en considération ses dangers, notamment ses limites quant à la vérification des sources. Mais, au final, pour fournir une information de qualité, de confiance, c’est l’humain qui est déterminant.

The Media Leader : Comment les médias peuvent-ils se transformer pour mieux affronter les évolutions sociétales et économiques à venir ? Quel modèle adopter ?

C.M : Avant de parler des modèles à adopter, ce qu’il faut rappeler c’est que les grands médias d’information, à l’image de ceux du groupe Les Echos-Le Parisien ou du groupe Radio France, parce qu’ils produisent chaque jour des informations fiables et de qualité, font œuvre « d’utilité publique ». Leur pérennité est étroitement corrélée à leur modèle économique et les chocs que nous connaissons interrogent leur modèle. C’est particulièrement clé pour les acteurs privés. Il est plus que jamais nécessaire de réunir les conditions pour que les médias français, notamment natifs de la presse, puissent continuer à financer leur développement. C’est un premier élément de réponse. Le second élément est qu’en ces temps propices aux tensions, les groupes médias ne peuvent plus se contenter d’être les observateurs des transformations qui s’opèrent. Ils doivent en être acteurs et contribuer à construire un futur désirable, au service des citoyens. La société a besoin de propositions, de solutions, de perspectives. A notre échelle, aux Echos Le Parisien, nous l’avons formalisé dans notre raison d’être : « notre groupe s’engage à favoriser l’émergence d’une nouvelle société responsable, en informant, en mobilisant et en accompagnant chaque jour les citoyens et les entreprises ».

La société a besoin de propositions, de solutions, de perspectives.

Corinne Mrejen

J-P.B : En tant que média, notamment de service public, une question revient constamment: quelle est notre responsabilité pour nous médias dits « traditionnels »? Quelle est notre crédibilité en tant que journaliste de service public ? Aujourd’hui, je pense que plus qu’être un média nous devons, face au défi démocratique, devenir un médiateur pour réconcilier notre société. Les clivages sont trop exacerbés, les tensions trop fortes pour ne pas avoir conscience de notre responsabilité. Notre rôle était central. Il devient primordial. Être médiateur c’est créer du lien, permettre de faire commun pour ne pas dire nation et lutte contre toutes les formes de communautarisme et donc de divisions. C’est ce que nous nous efforçons à faire quotidiennement sur les antennes de Radio France.

The Media Leader : Corinne Mrejen, vous lancez un nouveau média dédié à l’environnement avec Vincent Giret. Dans quel but, quel est son modèle et ses ambitions ?

C.M : Vincent Giret travaille avec son équipe à la création d’une marque et d’un média 100% numérique dédié à la transition écologique. Nous ferons des annonces plus précises ultérieurement.

The Media Leader : Quels sont les enjeux business de Médias en Seine pour le groupe Les Echos – Le Parisien ?

C.M : D’un point de vue business, l’événementiel est un levier majeur de diversification. Pour le groupe Les Echos-Le Parisien, les événements sont le prolongement naturel de nos marques médias. Ils sont le moyen d’enrichir nos actifs, de renforcer la relation avec nos audiences et d’en conquérir de nouvelles. Au-delà d’être producteurs d’événements, nous nous positionnons comme des créateurs d’expériences, avec un niveau de contenu vraiment engageant.

D’un point de vue business, l’événementiel est un levier majeur de diversification.

Corinne Mrejen

Si Médias en Seine est un rendez-vous annuel incontournable, c’est parce qu’il a su « dé-siloter » les formats, c’est-à-dire mixer la réflexion, l’inspiration, le collaboratif, au sein d’un même événement. Notre intuition de départ était de dépasser la distinction BtoB / BtoC. Nous pensions déjà qu’il fallait ouvrir les fenêtres pour réunir les conditions du dialogue entre tous. Du fait de son format de co-production entre acteurs du public et du privé, la valeur de Médias en Seine réside avant tout dans sa contribution au débat sur le rôle, la transformation et les médias de demain.

The Media Leader : Une de vos thématiques concerne la jeunesse : « faut-il parler jeune pour parler à la jeunesse ? », comment faut-il donc l’adresser ?

J-P.B : À Radio France, nous n’attendons pas que les jeunes publics viennent à nous et estimons que c’est pleinement dans notre mission de faire le premier pas. Nous devons aller les chercher là où ils sont, c’est-à-dire sur les réseaux sociaux, et leur parler des sujets qui les préoccupent (environnement, inégalités…), leur montrer que nous avons une multitude de programmes pour eux. Sur franceinfo par exemple on a lancé « Le Talk » sur Twitch ou encore le podcast « Ca dit quoi ? » pour parler de l’actu aux ados et jeunes adultes qui ne s’informent pas de la même façon que leurs parents. Toutes les antennes de Radio France sont également présentes sur les réseaux sociaux avec des contenus adaptés. Et bien sûr notre plateforme numérique propose des catégories thématiques, et cela commence dès le plus jeune âge avec des podcasts dès 2 ans pour accompagner les enfants dans leur apprentissage de l’audio.

L’enjeu pour nos sociétés et nos médias est aussi aujourd’hui autour de l’éducation aux médias et à l’information. franceinfo en est un important vecteur et a pour ambition d’en être la référence du service public. Cela passe par un engagement fort en proposant des rendez-vous jeunesses ciblés mais aussi par des opérations auprès des enseignants et leurs classes tout au long de l’année pour les accompagner dans cette démarche essentielle, qu’est l’éducation à l’information.

C.M : L’un des grands enjeux de notre industrie des médias est effectivement de retisser un lien fort avec les publics jeunes. Lors de l’édition 2022 de Médias en Seine, nous avions réalisé avec Ipsos une « étude sur le rapport à l’actualité des jeunes », qui reste pertinente. La jeunesse cultive avec les médias et l’information, une relation passionnelle et complexe, avec une forte polarisation. Près de 40% des moins de 30 ans déclaraient avoir un fort attrait pour l’actualité. La moitié déclarait ne s’y intéresser qu’en fonction du sujet, et consultait prioritairement les sujets sociaux, environnementaux et sociétaux. Les jeunes consomment les médias, mais différemment de leurs ainés. Si nos médias traditionnels (presse, TV, radio, …) restent encore la principale source d’information, les plus jeunes privilégient de plus en plus le numérique et le social. Cette génération plébiscite l’information factuelle, accessible, plurielle et porteuse de solution. Simplement, leurs usages évoluent. Ils consultent largement les plateformes et privilégient les nouvelles écritures éditoriales à l’instar de la vidéo, de l’audio, des infographies, des formats immersifs et interactifs, etc. Consolider notre lien avec la jeunesse passe par une stratégie de déploiement de nos médias en phase avec leurs usages.

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