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Jean Luc Chetrit (Union des marques) : « La répartition de la valeur sur le marché digital souffre d’un manque de transparence »

Jean Luc Chetrit (Union des marques) : « La répartition de la valeur sur le marché digital souffre d’un manque de transparence »
Pour Jean-Luc Chetrit, il est indispensable de conserver un équilibre entre les différents médias.

INTERVIEW DU LUNDI. Avec 7 000 membres, 250 entreprises adhérentes et près de 1 600 marques, l’Union des marques est la voix des annonceurs dans un marché en pleine mutation. La fragmentation du marché de la vidéo, l’ouverture de secteurs économiques interdits à la pub TV, la mesure d’audience, les équilibres entre médias, la fusion de l’audiovisuel public, le financement des médias français face aux grandes plateformes… Les sujets bouillonnent. L’occasion pour le DG de l’UDM Jean-Luc Chetrit de répondre aux questions de The Media Leader.

The Media Leader : Les Jeux Olympiques de Paris arrivent. En quoi cet événement est-il un rendez-vous important pour les marques ?

Jean-Luc Chetrit : C’est un enjeu majeur pour des marques qui sont partenaires. L’événement aura un effet sur le moral des Français et l’activité économique, ce qui est une bonne nouvelle pour les marques. L’arrivée de la Flamme olympique nous a permis de voir cette montée en puissance. J’ai noté auprès des grandes marques qui sont partenaires une volonté vraiment d’être très présentes donc j’imagine que les résultats seront très positifs pour les médias. L’Euro de football, le Tour de France et les JO en France, l’été sera très dense, c’est une excellente nouvelle pour l’ensemble de l’écosystème.

La présence de la publicité limitée sur les antennes du service public en télévision ou radio est un élément important de l’équation générale.

The Media Leader : Comment voyez-vous le projet de fusion de l’audiovisuel public ?

JL.C. : C’est un sujet politique que les marques regardent avec un peu plus de distance. Nous sommes toujours favorables aux consolidations qui peuvent permettre des économies d’échelle, de mieux fonctionner ensemble et d’assurer une transformation numérique plus rapide, tant qu’elles préservent les équilibres de marché. Si l’évolution de gouvernance et de structure accélère la transformation de l’audiovisuel public, alors bienvenue à cette nouvelle organisation. Le sujet qui nous concerne est de savoir si cela s’accompagne ou pas d’un changement de modèle dans le financement de l’audiovisuel public. La présence de la publicité limitée sur les antennes du service public en télévision ou radio est un élément important de l’équation générale. Si on venait à encore restreindre cette équation, cela limiterait la capacité des annonceurs à parler à leurs audiences et cela les conduirait à moins investir dans les médias télé et radio. Je rappelle qu’après la fin de la publicité après 20 h sur France TV, les investissements publicitaires ne se sont pas reportés sur les chaînes privées. L’offre du service public est complémentaire par rapport à celle du privé. Ensemble elles assurent une puissance aux marques. Il faut toujours considérer le média télévision dans son ensemble. Nous sommes donc attentifs à ce que la publicité ne soit pas restreinte sur le service public, voire même qu’on puisse ouvrir la porte à une petite extension autour de grands programmes sportifs comme les JO. Beaucoup de compétitions vont avoir lieu le soir. Et France Télévisions ne peut pas accompagner ces diffusions d’une présence publicitaire, même légère. Cela aurait participé quand même au financement de la production de l’événement. C’est la même chose pour les grands événements culturels.

The Media Leader : Êtes-vous donc favorable à la levée des plafonds de chiffres d’affaires publicitaires, y compris sur les recettes digitales, pour le service public, notamment sur Radio France ?

JL.C. : D’abord, il ne faut pas confondre les recettes du linéaire avec celles du digital. Nous ne sommes pas favorables à une ouverture totale de la publicité sur les antennes du service public puisque personne n’y est prêt au niveau politique et de manière plus large sur le marché. En revanche, j’attire votre attention sur deux éléments : la télévision est actuellement un média inflationniste. Donc si les prix augmentent, il ne faudrait pas contraindre France Télévisions à un plafonnement trop sévère de ses recettes publicitaires à périmètre équivalent. L’inflation montre que la demande est très forte face à des inventaires trop limités, contrairement à ce que beaucoup d’oiseaux de mauvais augure avaient pu annoncer. Les chiffres d’affaires publiés montrent que la télévision continue à bien se vendre.

Notre ligne là aussi est constante : il est indispensable de conserver un équilibre entre les différents médias.

The Media Leader : L’ouverture des secteurs économiques interdits à la télévision fait débat. Vous êtes favorables à l’ouverture des secteurs de l’édition et du cinéma, mais contre l’ouverture des publicités pour les promotions de la grande distribution. Pourquoi ?

JL.C. : La question est de savoir si le linéaire doit s’ouvrir à la promotion dans la grande distribution. Notre ligne là aussi est constante : il est indispensable de conserver un équilibre entre les différents médias. Une étude a montré que certains d’entre eux sont très dépendants de ce type de publicité, comme la radio, l’affichage ou la presse. A partir de là, il n’y a pas d’urgence à changer des règles qui fonctionnent très bien et qui permettent d’avoir un marché publicitaire équilibré.

Concernant l’édition, nous ne sommes pas du tout sur les mêmes volumes. Il n’y a pas de médias dépendants de ce secteur. Ce sont plus les éditeurs qui se posent des questions par rapport aux coûts d’accès que seuls les best sellers pourraient supporter. Mais nous avons le recul concernant le cinéma : des producteurs ont eu peur que cela renforce les grands studios par rapport aux studios indépendants. Les chaînes TV ont permis à ces studios indépendants de continuer à pouvoir se développer et à pouvoir communiquer grâce à une politique tarifaire incitative. Je pense que ce sera de même pour le secteur de l’édition.

The Media Leader : La plateforme de streaming Max arrive le 11 juin en France avec de grandes ambitions face à une offre très importante, que ce soit Netflix, Disney+ et même celle des chaînes comme TF1+, France.tv ou M6+. Cette fragmentation du marché de la vidéo – qui ont toutes des offres publicitaires – est-elle une opportunité ou un risque ?

JL.C. : C’est une bonne nouvelle parce que cela redonne accès à de la publicité, à des publics qui en étaient sortis parce qu’ils payaient un abonnement. Maintenant, la publicité permet d’avoir des abonnements moins chers : donc l’utilisateur est gagnant. Les marques sont gagnantes car elles regagnent de la couverture qu’elles avaient perdues. Cela a aussi un intérêt pour les broadcasters parce que cela redonne de la vigueur à leurs modèles qui deviennent hybrides avec du linéaire et du digital. C’est aussi une bonne nouvelle alors que les inventaires en télévision sont saturés. Si un annonceur veut rentrer en télévision, il a beaucoup de mal à le faire. Donc toutes ces offres rajoutent un peu d’inventaire à un moment où il y en a besoin.

Médiamétrie a une longueur d’avance grâce à ses investissements dans les solutions technologiques, notamment avec Nieslen, ce qui nous permet de sortir des mesures qui sont parmi les plus avancées dans le monde.

The Media Leader : Médiamétrie a lancé sa nouvelle mesure d’audience TV en janvier. Quel bilan en faites-vous 5 mois après ?

JL.C. : Je me félicite que tous les investissements qui ont été réalisés chez Médiamétrie ces dernières années permettent à la mesure d’audience française d’être parmi les plus évoluées dans le monde. Je reviens d’une conférence internationale au Canada où nous avons beaucoup parlé des mesures cross média. Je vois que la France est dans le trio de tête des pays fers de lance de la mesure avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Médiamétrie a une longueur d’avance grâce à ses investissements dans les solutions technologiques, notamment avec Nieslen, ce qui nous permet de sortir des mesures qui sont parmi les plus avancées dans le monde. Mais il ne faut pas s’arrêter là et aller plus loin. Maintenant, nous devons accéder à une mesure de toutes les plateformes de streaming. Ce sera le cas dans quelques mois. Ces plateformes, avec qui nous échangeons, étaient un peu réticentes à une mesure d’un tiers indépendant comme Médiamétrie. C’est fini, elles y sont toutes favorables que ce soit Netflix, Amazon et Disney. Il y a maintenant des sujets technologiques et financiers à régler. Mais elles sont d’accord pour participer financièrement. Je pense, que nous allons aller assez vite dans leur intégration dans les panels. Après, il faut aller au-delà pour répondre aux besoins des annonceurs car si on additionne Netflix, Disney et Amazon, c’est tout petit comparativement à YouTube. Notre sujet est la mise en place d’une vraie mesure cross média incluant les vidéos diffusées sur YouTube mais aussi sur le social comme Meta ou TikTok. Cela permettra de mesurer la couverture et la répétition à travers toutes les plateformes. Nos homologues anglais sont en train de le mettre en oeuvre avec le projet “Origin” actuellement en beta test. J’en ai eu une présentation encore très détaillée la semaine dernière : les progrès sont considérables. La cinquantaine d’annonceurs qui participe au projet, va avoir accès à certaines données liées à leurs campagnes à partir de la fin de ce mois. La solution va être déployée normalement au Royaume-Uni à partir du début 2025. En France, nous sommes déjà les mieux préparés à accueillir une mesure comparable.

The Media Leader : Qu’est-ce que ça va changer fondamentalement ?

J-L. C. : Cela ne remplace pas les outils et les monnaies d’achat de chacun des médias qui vont continuer d’exister pour la télévision, les plateformes de streaming ou YouTube avec des indicateurs qui seront peut-être différents. Nous continuerons d’acheter en GRP d’un côté, en CPM de l’autre, peu importe. Le modèle n’a pas vocation à changer, ni au Royaume-Uni, ni aux États-Unis. C’est vraiment la mesure qui va s’enrichir avec de nouvelles couches qui vont permettre d’optimiser les campagnes avant et d’en mesurer la performance. Ce n’est pas qu’un bénéfice pour les marques ou les agences mais aussi pour les téléspectateurs qui se plaignent d’avoir trop de répétition publicitaire. Le public demande à ce qu’on arrête cet excès de répétition des messages. D’ailleurs, cela participera à une sobriété énergétique bonne pour la planète.

Nous avons décidé de ne pas poursuivre de discussions sur la monnaie d’échange, car c’est un sujet commercial.

The Media Leader : Vous avez lancé des échanges avec l’Udecam et le SNPTV, autour de la monnaie d’échange de la vidéo. Certains souhaiteraient que la vidéo soit achetée uniquement au CPM et non plus au GRP. Où en êtes-vous ?

JL.C. : Nous avons décidé de ne pas poursuivre de discussions sur la monnaie d’échange, car c’est un sujet commercial. Chaque régie peut le faire individuellement, il n’y a pas besoin de concertation. Si quelqu’un veut vendre en CPM et qu’il y a un client pour acheter, il vendra en CPM. Mais je ne crois pas que ce soit aujourd’hui à l’ordre du jour. En revanche, nous poursuivons les échanges sur la mesure. Ce groupe de travail a intégré tous les acteurs du marché de la vidéo après un appel que nous avons lancé. Beaucoup sont venus, d’ailleurs presque toutes les plateformes de streaming. C’est donc une très bonne nouvelle de pouvoir échanger sur une mesure cross media. La ligne de l’Union des marques est claire, nous y sommes favorables, sur le modèle anglais, comme je l’évoquais précédemment. On ne va pas se mettre d’accord sur un seul indicateur mais sur des indicateurs. Ce qui est important est d’avoir des définitions qui soient communes entre tous, les plateformes et les broadcasters. Nous devons avoir un tiers de confiance commun audité, et qu’on ne soit plus dans l’auto mesure. Cette ligne est portée par tous les annonceurs à la fois en France et dans le monde.

The Media Leader : Les Etats Généraux de l’information et un récent rapport de PMP Strategy ont pointé la difficulté du financement des médias en France par un marché publicitaire capté par les plateformes. Quelle est votre vision ?

JL.C. : Nous avons contribué à ces États Généraux en étant auditionnés deux fois et en transmettant un document de propositions d’une dizaine de pages. Si je résume notre analyse, nous partageons l’inquiétude, mais pas les solutions qui sont envisagées. Pourquoi ? Parce que je pense que nous devons poursuivre l’analyse des évolutions de marché. Nous sommes trop en surface ! Par exemple, nous tirons des conclusions parfois hâtives sur les poids des investissements publicitaires du digital qui montrent que 45 % du marché est capté par le search. Nous n’avons pas des répartitions assez fines des investissements par type d’annonceurs. Si on le faisait, on se rendrait certainement compte que les grands annonceurs sont encore très présents dans les medias dits historiques : si ce n’était pas le cas, la télévision ne connaîtrait pas une inflation des prix, les marchés publicitaires de la radio, du cinéma et de l’affichage ne seraient pas en progression. On ne s’attaque pas aux vrais sujets : on dit que les annonceurs ne sont pas assez attentifs aux médias dans lesquels ils investissent. C’est une fausse idée qui circule. En revanche, ils n’ont pas les outils pour pouvoir traquer là où ils investissent, notamment en digital programmatique où il y a une absence de transparence. Nous avons proposé d’instaurer le « Shared Campaign ID », mais celui-ci est bloqué en partie à cause de Google. Tout le monde doit appeler à ce que Google ouvre ce Shared Campaign ID pour tracer les campagnes. D’ailleurs cela permettrait de mieux appréhender la chaîne de valeur ! Toutes les études montrent que pour 100 € payés par un annonceur, seuls 40€ sont reversés aux médias ! La solution est là ! La valeur du marché publicitaire n’est pas justement répartie. Nos propositions vont dans le sens de l’interopérabilité, la transparence, et des mesures indépendantes. J’entends certains qui veulent imposer des obligations ou des lois : mais ce n’est pas comme cela que nous allons régler la transformation numérique et l’équilibre des médias. Je rappelle que le RGPD a été l’opportunité, pour certaines plateformes, de refermer le marché. Plus on fait de la régulation, plus ces plateformes se renforcent. Hormis sur certains points précis comme la régulation des droits voisins qui doit être appliquée par tous.

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