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Le Digital Service Act étend son périmètre : pourquoi le marché est-il aussi inquiet ?

Le Digital Service Act étend son périmètre : pourquoi le marché est-il aussi inquiet ?
Le marché publicitaire est bien impacté par la nouvelle réglementation. Le DSA demande aux plateformes de fournir de nombreuses informations pour éclairer l’utilisateur davantage sur l’utilisation de ses données.

DÉCRYPTAGE. Vous le connaissez désormais sous le doux nom de « Digital Services Act », DSA pour les intimes. Le nouveau règlement européen sur les services numériques est entré en vigueur le 25 août 2023. Mais une nouvelle étape vient d’arriver à échéance : s’il s’appliquait déjà aux très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne (very large online platforms and search engines ou VLOPSEs – utilisées chacune par au moins 45 millions de citoyens de l’UE), il agit désormais sur l’ensemble des plateformes depuis le samedi 17 février, tous les fournisseurs de services intermédiaires, sous le contrôle des autorités nationales.

De la théorie à la pratique

L’Arcom désigné comme coordinateur, nous concernant, aux côtés de deux autres autorités compétentes : la CNIL et la DGCCRF. Un règlement qui vise à apporter une meilleure protection des internautes européens contre les contenus illicites, dangereux et préjudiciables. Le concept : ce qui est illégal hors ligne doit aussi l’être en ligne. C’est la théorie.

Concrètement, la Commission européenne n’a pas attendu longtemps avant d’ouvrir des enquêtes, préalables avant la mise en place de sanctions. En octobre dernier, elle a demandé à TikTok, mais aussi X et Meta, des précisions sur les mesures qu’ils mettent en œuvre contre la diffusion de fausses informations et de contenus illégaux, notamment après les attaques du Hamas contre Israël. Ou d’ajouter d’autres acteurs, à l’image des grands sites porno. D’autres plateformes numériques pourront être ajoutées au fur et à mesure. Toutes doivent rendre public le nombre de leurs utilisateurs mensuels, en l’actualisant tous les six mois : si elles dépassent 45 millions, elles rentrent dans le cadre.

L’objectif : encadrer le contenu exposé à ces utilisateurs : adapté aux enfants si la plateforme est grand public, pas de fake news, pas de manipulation politique, notamment en vue d’élections. En décembre, X est visé par des « procédures formelles d’infraction » : manquements présumés aux obligations de lutte contre les contenus illicites et de désinformation, manquements présumés aux obligations de transparence, interface utilisateur trompeuse.

« C’est aussi l’interdiction de la publicité ciblée sur des données sensibles : religion, santé, orientation sexuelle…», explique Geoffrey Berthon, cofondateur de Quarry. L’adtech spécialisée dans la pub contextuelle n’est pas concernée par le DSA. « Pour notre business, c’est une bonne nouvelle ». Mais le marché publicitaire est bien impacté par la nouvelle réglementation.

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L’impact sur le marché pub

Le DSA demande aux plateformes de fournir de nombreuses informations pour éclairer l’utilisateur davantage sur l’utilisation de ses données. Votre campagne de pub se dévoile : Meta a par exemple mis en place une API pour récolter des données auprès des agences médias : « qui est le payeur ? qui est le bénéficiaire ? quels pays ? quelles cibles ? l’âge ? le genre ? le nombre d’individus uniques touchés ? », nous énumère Jean-Baptiste Rouet, président de la commission digitale de l’Udecam, également chargé de la pub programmatique chez Publicis Media. Cerise sur le gâteau : les pièces d’identité des traders. « Ce n’était même pas RGPD ! On a fait abandonner l’idée, au printemps dernier ». Des informations qui peuvent porter préjudice à la bonne concurrence entre les acteurs du marché : « on peut estimer une valorisation, un CPM ».

Pour se mettre en règle, les grandes plateformes ont demandé aux agences de bosser à leur place et de remplir des milliers de lignes : les informations de vos campagnes. « Cela pose un vrai problème », estime Jean-Baptiste Rouet. L’inquiétude : l’étendue de la granularité de l’information divulguée au niveau des ciblages et des budgets. « On s’est battus pour que les budgets ne soient pas inclus dans les API des plateformes, que la totalité des infos d’une campagne ne soient pas rendues publiques ». Le risque : mettre à mal le secret des affaires.

Les agences sont en sueur, mais du côté des annonceurs : « cela fait longtemps qu’ils sont sensibles à l’affichage de leurs publicités : on exclut déjà depuis longtemps les populations à risque », poursuit Geoffrey Berthon. L’objectif était de protéger la marque : les annonceurs ont protégé dans le même temps l’audience.

Zoom sur les publishers et retailers

Du côté des publishers, c’est encore autre chose : « ils subissent déjà énormément la réglementation, ils supportent le coût des évolutions, c’est encore une couche supplémentaire », détaille Geoffrey Berthon. Les plus petits acteurs de l’open web, nos médias du quotidien, ceux qui produisent du contenu gratuit, peuvent être inquiétés. « Ils doivent faire attention, car sur la partie publicitaire, ils ont moins de maîtrise, notamment sur les Native Ads ». Les acteurs de la recommandation de contenus publicitaires, comme Taboola ou Outbrain, doivent être en règle.

La plateforme de diffusion, le média, sera jugé responsable. « Avez-vous déjà vu les contenus poussés ? Il y a des dangers ici : les médias sont responsables de ces contenus-là : avant existait une zone grise, maintenant c’est clair, c’est condamnable ». La CNIL se frotte les mains. Mais du côté des retailers, on se sent safe : « tout ce qu’on devait faire, pour que les internautes comprennent l’utilisation de leurs données, c’est déjà fait », selon Alexis Marcombe, le CEO d’Unlimitail. « Zéro impact pour nous. Le DSA touche Amazon, mais cela ne les a visiblement pas traumatisés. Donc ce n’est pas non plus une opportunité (de concurrence, ndlr) pour nous ». Sérénité sur le retail media.

Chez Havas Media, pas trop d’inquiétude non plus : « pour les marques qu’on accompagne, les effets seront plutôt indirects : l’article sur l’interdiction du ciblage des populations mineures par exemple. On ne peut plus cibler les personnes entre 15 et 18 ans », explique Masaki Halle, directeur de la data chez Havas Media France.

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Une question reste entière : combien de citoyens européens activeront la nouvelle option, dont le principe est simple : « préférez-vous que le système vous recommande des contenus sans recommandation ? » Sans s’appuyer sur le profilage de la personne que la plateforme a effectué, pour résumer. Selon Geoffrey Berthon, ce sont les grands médias sociaux qui sont le plus en danger, malgré leur apparente puissance. Car ces plateformes vont devoir faire œuvre de transparence sur leurs algorithmes, non seulement publicitaires, mais aussi de recommandations de contenus. « La bulle informationnelle, ils vivent dessus ». Reste au consommateur de faire son choix.

Du côté des annonceurs et de leurs agences-conseils, l’Udecam publiera un dossier fin mars pour expliquer quels sont les plus grands impacts attendus. « Le risque est limité », rappelle Jean-Baptiste Rouet. Toutefois, le combat reste prégnant en coulisses, pour éviter la diffusion d’informations stratégiques, qui viendrait malmener la Sainte concurrence.

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