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Pascal Crifo (Publicis Sport / Blue 449) : « Il n’y a pas de raison que les plateformes refusent de donner leurs audiences »

Pascal Crifo (Publicis Sport / Blue 449) : « Il n’y a pas de raison que les plateformes refusent de donner leurs audiences »
Pascal Crifo a fondé Publicis Sport et dirige l'agence média Blue 449.

Interview du lundi. Les événements sportifs vont rythmer le marché pendant les prochains mois. De la Coupe du monde de rugby aux Jeux Olympiques de Paris 2024, les agences se mobilisent pour répondre aux besoins spécifiques des marques et aux avants postes, Publicis Sport, une des premières agences de publicité dédiée au sport. Comment une marque peut-elle émerger pendant un grand événement ? Le nouvel appel d’offres de la Ligue 1 est-il à la hauteur ? Pour The Media Leader, Pascal Crifo, CEO de Publicis Sport et de Blue 449 (Publicis Media) balaye les grands sujets du moment et annonce le gain du budget média Harmonie Mutuelle.

 

The Media Leader : Comment les grands événements sportifs, tels que la Coupe du monde de Rugby ou les Jeux Olympiques de Paris l’an prochain, peuvent-ils dynamiser le marché publicitaire ?

Pascal Crifo : Ces événements ont le mérite de mettre le sport au centre de toutes les attentions. Cela montre au secteur de la publicité, et donc aux marques, à quel point le sport peut transmettre de nombreux messages avec beaucoup d’efficacité, beaucoup d’impact et des relais émotionnels. C’est un showcase extrêmement puissant de ce que le sport peut apporter aux marques.

The Media Leader : Vous accompagnez des marques spécifiquement sur ces événements comme Procter&Gamble, Samsung, Enedis, La Poste ou Visa sur Paris 2024. Comment une agence comme Publicis Sport s’est-elle organisée pour répondre à ces besoins spécifiques ?

P.C. : Nous avons une organisation très pragmatique. D’abord, en amont des événements, nous devons construire la stratégie avec les marques, en diffuser déjà les premiers contenus, les premières campagnes et les premières activations.

Puis, nous avons un enjeu de terrain. En tant qu’agence qui travaille sur le marketing sportif, on doit aussi animer les partenariats des marques sur le terrain. C’est le cas sur la Coupe du Monde de Rugby et ça le sera sur la Coupe d’Afrique des nations en janvier en Côte d’Ivoire. Ensuite, il y aura l’Euro de football et enfin les Jeux Olympiques de Paris.

Nous sommes sur une séquence de huit mois où nos équipes vont être très sollicitées. Ce qui nous demande de gérer de l’humain, car il n’y a pas d’intelligence artificielle pour remplacer quelqu’un sur le terrain.

Et puis, ce sont des événements très concentrés dans le temps. Les Jeux Olympiques et Paralympiques durent deux fois quinze jours : un mois, c’est très court pour recevoir le monde entier sur toutes les disciplines sportives. Nous sommes très préparés. À nous d’être à la hauteur de l’événement.

The Media Leader : Qu’elle soit partenaire officiel ou non d’un grand événement sportif, comment une marque peut-elle émerger ?

P.C. : Pour une marque partenaire officiel, il faut émerger en amont de l’événement plutôt que pendant. Car l’événement est plus fort que la marque et plus fort que le message publicitaire.

Les Jeux Olympiques, ce sont des grandes histoires humaines et collectives, individuelles et collectives, qui vont se dérouler tous les jours avec des joies et des peines, avec des succès, avec des records, des exploits, avec un foucus en France, sur les athlètes français. Donc la marque doit émerger à partir de maintenant et jusqu’en juillet 2024. Elle doit expliquer pourquoi elle s’est engagée. Ce qu’elle apporte au sport. A quel point ses équipes sont mobilisées.

Quand il y a 20 ou 30 partenaires, il faut croiser les valeurs de l’événement avec sa propre singularité.

En revanche, pour les marques qui ne sont pas partenaires de l’événement, il faut avoir la capacité d’animer des audiences autour de l’événement sans forcément en parler. Il faut arriver à créer de la ferveur et de l’émotion. Par exemple, soutenir le sport sans forcément soutenir la compétition. Quand on dit aux gens de vibrer un samedi matin alors que se tient un match de l’équipe de France, on comprend pourquoi ! Il y a tout un tas d’astuces que les agences connaissent bien !

Pour une marque partenaire officiel, il faut émerger en amont de l’événement sportif plutôt que pendant.

 

The Media Leader : L’écosystème média est-il suffisamment innovant et créatif pour répondre au caractère exceptionnel de Paris 2024 ?

P.C. : C’est assez classique. Ce sont surtout des offres de relais de l’événement. Je pense qu’il n’y a pas énormément de prise de risque parce que tous savent que ce sera un succès. Les Jeux Olympiques ont beau se tenir les dernières semaines de juillet et la première semaine d’août, et les Jeux Paralympiques début septembre, on sait que l’audience va être forte et que la France va se passionner pour l’événement.

L’enjeu des marques média est d’expliquer aux annonceurs à quel point, dans leur univers, ce sera toujours mieux de consommer les Jeux Olympiques. C’est une opportunité énorme pour les médias, donc il faut construire des offres cohérentes. Même s’il y a évidemment une question de coût d’accès à l’audience.

Il n’y a pas forcément besoin d’inventer des choses spectaculaires puisque l’événement en lui-même va drainer de l’efficacité.

The Media Leader : L’appel d’offres pour la diffusion TV de la Ligue 1 et de la Ligue 2, lancé par la LFP, sera-t-il une réussite ? Est-il à la hauteur des enjeux ?

P.C. : Je pense que l’appel d’offres a été construit assez intelligemment eu égard à la séquence précédente, quand Amazon a récupéré les droits de diffusion après la défection de Mediapro.

J’imagine que l’appel d’offres a été conçu pour que les prix de réserve soient atteints. Aussi, ces deux lots donnent la possibilité de créer de l’exclusivité et une offre très premium.

Pour les téléspectateurs, c’est important que les diffuseurs existent déjà afin d’éviter d’empiler les abonnements. Je ne crois pas que le public acceptera de souscrire une offre auprès d’un nouveau diffuseur.

Pour les marques, l’enjeu est que le diffuseur fasse suffisamment d’audience.

The Media Leader : L’Union des marques appelle à inscrire la mesure d’audience dans l’appel d’offres. Qu’en pensez-vous ?

P.C. : Je suis tout à fait d’accord. Les annonceurs ne font pas des chèques sans réfléchir. Quand une marque choisit d’investir sur un partenariat sportif, elle doit parfois renoncer à une ou deux campagnes de publicité. Si on sait ce qu’une campagne publicitaire peut apporter, il faut savoir ce que peut rapporter un sponsoring. Je trouve assez gênant qu’il y ait une opacité dans la mesure d’audience.

En tant qu’agence, nous ne pouvons pas faire correctement notre travail de média planners.

Nous avons des données d’audience sur tous les autres événements sportifs comme la Coupe du Monde de Rugby ou les Jeux Olympiques. Il n’y a donc pas de raison, que, parce que certains diffuseurs sont des plateformes digitales, qu’elles refusent de donner leur audience.

The Media Leader : Est-ce que ça pourrait être un point bloquant pour diffuser certaines campagnes d’annonceurs ?

P.C. : Oui, c’est bloquant quand une plateforme annonce un nombre d’abonnés à venir sans que l’on sache qui regarde et quand. Nous devons être capables de mesurer l’impact d’un événement. Plus on mesurera, plus ça sera bénéfique à l’événement. C’est donc aussi complètement dans l’intérêt des diffuseurs de le partager.

The Media Leader : Que pensez-vous du naming, comme la Ligue 1 Uber Eats ou des enceintes sportives comme Groupama Stadium à Lyon ou Allianz Rivera à Nice ?

P.C. : C’est une façon de communiquer un peu spéciale et qui peut sembler minimaliste, mais qui a comme vertu de citer la marque en permanence.

Pour les marques qui ont besoin de présence à l’esprit et qui sont dans des champs concurrentiels extrêmement touffus, comme les compagnies d’assurance où il y a de nombreux acteurs, c’est une très bonne stratégie.

Pour Uber Eats et la Ligue 1, c’est un choix stratégique extrêmement pertinent et un excellent namer pour la Ligue 1. Il y a eu une vraie rencontre entre une offre et une demande.

Ce sont aussi des partenariats qui s’inscrivent dans la durée, souvent deux, trois, quatre ou cinq ans. Donc là aussi, ça permet aux marques de construire des choses.

Le dispositif n’est pas limitatif, car il permet aussi de construire des expériences dans le stade ou avec le club.

Après, au regard du coût, il faut que ça réponde à des objectifs précis et que l’efficacité soit mesurée.

The Media Leader : Vous dirigez également l’agence Blue449 au sein de Publicis Media. Vous avez remporté le Groupe La Poste. Comment se porte l’agence ?

P.C. : Nous sommes super contents d’avoir intégré La Poste le 1er janvier dernier. Il nous a fallu quelques semaines pour construire toute l’organisation et aller à la rencontre de toutes les entités de ce groupe très large et diversifié. C’est assez passionnant. Nous apprenons beaucoup dans ce groupe en pleine transformation.

Concernant l’agence au global, nous abordons la rentrée avec beaucoup d’enthousiasme. Nous sommes aujourd’hui cinquième ou sixième de notre marché, donc nous avons une taille facile à gérer.

Nous sommes encore dans une dynamique de challenger avec une croissance relativement régulière depuis 2015. C’est une chose à laquelle je tiens particulièrement parce que, bien évidemment, on a toujours envie de faire plus de croissance dans nos métiers. Maintenant, quand ça va trop vite, ce sont les talents qui souffrent.

Donc, on arrive un peu à grandir régulièrement et en même temps, on s’occupe mieux des clients dans notre portefeuille, même si nous sommes toujours hyper intéressés pour découvrir de nouveaux briefs et de nouvelles problématiques de marques.

Concernant l’agence au global, nous abordons la rentrée avec beaucoup d’enthousiasme

 

The Media Leader : Vous venez de remporter le budget média d’Harmonie Mutuelle au sein du Groupe VYV. Comment voyez-vous votre travail avec cette marque ?

P.C. : C’est un gain récent dont nous sommes fiers. Nous allons commencer à travailler avec eux dès janvier. Harmonie Mutuelle fait partie du Groupe VYV qui est une entreprise à mission.

Tout l’enjeu est de les accompagner dans une stratégie tournée vers l’humain et pas forcément vers le profit. C’est extrêmement excitant de pouvoir s’associer à des entreprises qui ont ces valeurs-là.

Et puis le secteur des assurances est passionnant, car il est extrêmement compétitif. Il faut arriver à se distinguer et à se singulariser. Il faut parfois prendre des risques pour pouvoir être entendu.

Ces marques sont là pour protéger les gens dans une société où il y a beaucoup d’angoisse après la crise sanitaire, sans compter les crises sociales, politiques ou économiques. C’est évidemment au cœur des missions des mutuelles. Cela rend cette marque super intéressante à accompagner.

The Media Leader : Comment s’insère Blue449 dans Publicis Media, désigné groupe en tête du classement mondial New Business de COMvergence au 1er semestre 2023 ?

P.C. : Il y a une vraie bonne entente entre toutes les agences de Publicis Media. Il y a une vraie solidarité entre nous et on est super contents de se mobiliser les uns pour les autres. Il y a une vraie dimension collective. On n’est pas en compétition les uns avec les autres ; on est en compétition avec le reste du marché. C’est un point qui est extrêmement vertueux.

Chez Blue449, nous sommes les petits derniers, donc on a bénéficié de l’aide des plus grosses agences. Nous nous sommes vraiment inspirés de ce qu’ont fait Zénith, Starcom et les autres.

The Media Leader : Les organisations professionnelles souhaitent remettre à plat la charte des appels d’offres « La belle compétition ». Quelle est votre vision de ces compétitions qui cristallisent beaucoup de crispations ?

P.C. : Dans le cadre d’un appel d’offres, je pense qu’il faut accepter les victoires comme les défaites, car sinon on vit mal.
Personnellement, j’ai mis du temps à accepter les défaites, car je suis assez mauvais joueur ! Il faut accepter le fait que l’on peut avoir des grandes émotions parce qu’on a gagné un client. Mais qu’il y a aussi des fois où on perd.

Je ne suis absolument pas contre les appels d’offres puisque les agences Blue449 et Publicis Sports sont parties de zéro. J’ai d’ailleurs connu également cette même feuille blanche avant, quand j’étais chez Fred et Farid. J’ai beaucoup appris et évolué dans ma carrière grâce aux appels d’offres.

Je pense que le problème des appels d’offres reste la motivation de l’annonceur. Est-ce qu’il y a toujours besoin de lancer un appel d’offres quand l’annonceur s’entend très bien avec son agence ? Quand la relation est performante, que l’agence est notée 9 sur 10 toute l’année, que le travail est jugé productif et mesuré, comme tel ?

Est ce qu’il y a toujours besoin de lancer un appel d’offres quand l’annonceur s’entend très bien avec son agence ?

On peut comprendre l’intention de rationaliser les coûts ; mais je pense qu’il y a une perte de valeur au final. Donc, faire un appel d’offres parce qu’il y a un vrai besoin de se renouveler, ça se comprend tout à fait. Mais quand tout va bien, tout se passe bien, je ne vois pas l’intérêt. Et d’ailleurs, c’est une bonne chose que le Prix Agence Média de l’année 2024 puisse mettre à l’honneur le couple agence / annonceur dans une catégorie spécifique.

Je rajouterais qu’il y a un grand besoin de respect mutuel dans un appel d’offres. On peut écrire toutes les chartes possibles, mais un appel d’offre est un moment ou des humains doivent se rencontrer dans un respect mutuel des enjeux de l’autre et où le travail demandé doit l’être dans des délais raisonnables, à des périodes respectables et où le travail fourni doit être rémunéré, même modestement. Cela acte d’une considération pour l’effort fourni et la valeur de la réflexion.

Ce n’est pas que du business, comme le pensent certains. C’est une séquence forte, chargée émotionnellement où chaque signal émis laisse une trace.
Si on m’a dit 200 fois OUI ces 25 dernières années, on m’a dit à peu près autant de fois NON. Je garde une trace de chacun de ses projets, car nous y mettons du cœur, de la chair, de l’énergie et les victoires comme les défaites soudent nos équipes.

C’est un sujet à prendre avec beaucoup de sérieux et de rigueur et je suis très content que l’interprofession ne lâche rien sur le sujet.

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