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Patrick Gouyou Beauchamps (Values.media) : « Les capacités de ciblage deviennent de plus en plus intéressantes »

Patrick Gouyou Beauchamps (Values.media) : « Les capacités de ciblage deviennent de plus en plus intéressantes »
Être une agence indépendante, c’est être totalement agnostique dans le choix des solutions adtech proposées à nos clients, indique Patrick Gouyou Beauchamps.

Interview du lundi. Fin annoncée des cookies tiers, érosion du média TV au profit d’un modèle total vidéo, digitalisation du offline, les agences médias font face à la complexification du ciblage. Parallèlement, la diversification des touch points les pousse à créer de nouveaux modèles. Une transformation nécessaire pour les agences ? Le pari de l’indépendance paiera-t-il ? Patrick Gouyou Beauchamps, directeur de Values.media, est l’invité de The Media Leader.

The Media Leader : En 2022, Values.media a progressé de 35% en marge brute. Vous ambitionnez une croissance de +10%. Quel est votre bilan 2023 ? Quelles sont vos dernières victoires ?

Patrick Gouyou Beauchamps : Nous terminerons 2023 au-dessus de nos objectifs de croissance, avec +14% de croissance estimée de marge brute. Nous aurons donc doublé notre marge brute en 3 ans, tout comme nos effectifs, et ce de manière organique. Nous en sommes très fiers car c’est l’illustration que notre offre et notre positionnement font écho auprès des annonceurs en France, dans un contexte global cette année qui est assez morose.

2023 a été une année d’innovations soutenues pour Values avec le lancement d’un premier accord entre une agence média et Prisma Medias, permettant d’accéder à ses 28M d’ID via la data clean room de Liveramp et nous permettant de bâtir des ciblages, cookieless donc, totalement sur mesure et opérables partout en digital.

Nous sommes en cours de finalisation de plusieurs accords avec des régies TV, sur des cas d’usages identiques en TV segmentée. Nous aurons donc d’autres annonces à faire dans quelques semaines.

Nous avons également lancé Values brandlift, un algorithme de prévision de gain de notoriété et de préférence de marque, codéveloppé avec Ekimetrics qui nous a apporté son savoir-faire technologique. Cet outil propriétaire nous permet d’affiner et simuler, avec précision, nos recommandations de stratégies plurimédia.

Sans oublier le lancement de notre offre d’accompagnement en Marketing Mix Modelling, permettant à nos annonceurs de mesurer et prévoir l’impact des plans médias (et toute action marketing) sur un KPI business.

Enfin, l’année a été marquée par 10 nouveaux clients, parmi lesquels EcoMaison, La Monnaie de Paris, Forté Pharma, Homebox, et la rétention des 3 marques du groupe Vyv, clients historiques de l’agence comme groupe Vyv, Mgen et Mnt.

The Media Leader : Que signifie être une agence indépendante aujourd’hui ?

P.G-B : Être une agence indépendante, c’est être totalement agnostique dans le choix des solutions adtech proposées à nos clients, fonder nos propositions en fonction du seul bénéfice data ou tech du client, au service de sa performance, et non en fonction d’un accord partenarial international.

C’est également n’avoir aucun lien capitalistique avec un média ou une régie, donc là aussi être totalement agnostique dans son conseil.

Être une agence indépendante, c’est aussi avoir cette capacité à accompagner ses clients, d’entrepreneurs à entrepreneurs, de travailler systématiquement en circuits courts, être agile, apporter plus de séniorité aussi bien dans la relation client que dans l’expertise et le trading.

Sans oublier l’implication permanente du top management au quotidien tout au long de la chaîne de valeurs, de l’animation de la relation client, du planning stratégique à l’administration de ventes, du trading au back office.

Puis, être une agence indépendante, c’est avoir cette capacité à investir dans l’humain et des solutions technologiques, au seul bénéfice du développement de l’entreprise et de l’épanouissement de ses salariés, sans être contraint par des seuils de rentabilité exigés par l’international.

Chez Values.media, nous avons des profils diversifiés, issus de régies ou d’adtech qui occupent des fonctions clés

De manière un peu caricaturale, il y a 10 ans, les agences indépendantes étaient cantonnées aux « petits annonceurs » en France. Aujourd’hui c’est loin d’être le cas. La frontière entre agences internationales et indépendantes est très fine à présent sur les budgets nationaux, qui peuvent parfois être de plusieurs dizaines de millions d’euros.

Certaines indépendantes ont su se réinventer, notamment en s’enrichissant de profils plus variés. Chez Values.media, nous avons des profils diversifiés, issus de régies ou d’adtech qui occupent des fonctions clés. Cette « double culture » est essentielle : elle favorise l’innovation, un management plus fort et des compétences plus variées et riches.

Ensuite nos méthodes de travail très agiles, qui permettent d’innover rapidement, avec des circuits de décision très courts et des déploiements, donc des courbes d’apprentissages, plus rapides que dans des structures plus lourdes. L’innovation est vitale dans notre secteur, encore plus dans des structures plus petites, c’est une question de différenciation.

Aussi, je pense que la liberté d’actions qui existe dans une agence indépendante est source de motivation pour de nombreux profils qui veulent générer un impact plus fort, accélérer sur leurs compétences, créer et partager la valeur aussi : nous sommes une des très rares agences médias en France avec des incentives conséquentes pour l’ensemble des collaborateurs.

Nous sommes exigeants sur les résultats. Il est logique qu’il y ait une rétribution pour les collaborateurs. Il est plus compliqué d’appliquer ce type de politique lorsque vous êtes une filiale française d’une holding internationale.

The Media Leader : Quel état des lieux faites-vous de la digitalisation du offline ? Notamment de l’évolution de l’achat média cette année ?

P.G-B : Les choses bougent dans le bon sens, tant dans les usages que les offres publicitaires. Chez Values.media c’est un sujet majeur car une agence se doit d’apporter une vision claire aux annonceurs à un moment où tout se mélange. Il faut savoir faire le tri dans un marché en ébullition…

Nous sommes très volontaires sur ces sujets. A titre d’exemple, près de 35% de nos achats en affichage sont en DOOH, très majoritairement en programmatique. Ce qui est bien supérieur aux 20% du marché observé par le BUMP sur les 9 premiers mois de l’année. Nous avons bâti des places de marché privées avec certains acteurs clés depuis plusieurs années, afin d’aller plus loin dans les optimisations et capacités de ciblage pour nos annonceurs.

L’agence est également très volontaire en TV segmentée. Nous estimons peser près de 5% sur ce segment de marché. Les capacités de ciblage deviennent de plus en plus intéressantes, notamment avec la data retail. Les agences peuvent travailler avec les régies et partenaires datas pour aller plus loin que des segments « sur l’étagère » qui manquent parfois de pertinence. Ce qui n’était pas le cas il y a encore 18 mois.

Values.media est l’une des 5 agences partenaires de Netflix en France

Enfin, la vraie évolution est que nous pouvons pousser des segments sur mesure, créés côté agence, aux régies TV et les opérateurs de box. La data devient plus liquide, et amène donc plus d’opportunités pour le marché.

Enfin, Values.media est l’une des 5 agences partenaires de Netflix en France. Actuellement en phase de déploiement, nous pensons que Netflix jouera un rôle de plus en plus important à l’avenir dans les plans TV des clients. Nous les accompagnons donc depuis leur lancement.

The Media Leader : Comment voyez-vous l’arrivée des plateformes de streaming comme Netflix, Disney+ et Amazon Prime Video sur le marché publicitaire ?

P.G-B : Nous pensons qu’elles vont jouer un rôle majeur et monter en puissance graduellement sur une partie de la population qui devient de plus en plus complexe à toucher en TV : les moins de 50 ans.

Elles vont également avoir un travail à faire sur le développement de leurs parcs abonnés avec publicité, sur leurs pricing, les capacités de ciblage. Des modèles de ce type se bâtissent sur plusieurs années, c’est le pari que nous faisons. Il y aura sûrement de la casse et des revirements de stratégie aussi, c’est le début, donc instable, il faut l’accepter.

Leur intégration dans le panel Médiamétrie est cependant indispensable pour apprécier leur valeur ajoutée, notamment l’apport en couverture incrémentale. Nous espérons que Netflix y arrivera rapidement.

The Media Leader : Comment voyez-vous les évolutions du marché publicitaires à l’heure de l’érosion du média TV ?

P.G-B : Pleines d’opportunités ! L’époque est passionnante. Les frontières tombent et se confondent entre digital et offline, linéaire et non linéaire, adressable et non adressable.

Chez Values.media nous parlons de Total Vidéo. Même si la convergence de la mesure n’est pas encore optimum, les outils de médiaplanning doivent se réinventer et rendre une data plus liquide pour les acheteurs. Cependant, comme tout marché en mouvement rapide, il y a certaines contradictions et confusions qui peuvent arriver au risque de mélanger tout et n’importe quoi.

Tout d’abord, il faut différencier l’écran TV des autres devices. Les usages et confort de visionnage sont différents. Ensuite, il est nécéssaire de définir la stratégie de ciblage, qui peut être la combinaison de plusieurs stratégies complémentaires. La TV linéaire non adressée est restreinte au sociodémo, ou presque, les leviers adressables, sur device TV ou digitaux, ont des capacités très différentes et variées. Il ne faut pas opposer un contact à un autre, ça n’a pas de sens.

L’alignement au CPM en 2025 entre TV et vidéo risque de faire naitre des raccourcis un peu faciles et tirer la valeur vers le bas. Cette évolution est une bonne chose et va dans le sens de l’histoire, mais il faut l’accompagner de pédagogie et d’objectivité. C’est aussi le rôle d’une agence.

The Media Leader : L’avenir de la publicité repose-t-il sur l’attention ?

P.G-B : L’avenir de la publicité repose surtout sur une bonne fixation et une priorisation d’objectifs des campagnes, des méthodologies communes, et des modèles économiques clairs.

L’attention peut faire partie de ces objectifs prioritaires, mais encore faut-il définir des standards communs. Sans faire de parallèle facile, cela me fait penser aux Calculettes Carbone qui foisonnent sur le marché. L’initiative est très bonne, mais sans méthodologie commune, cela tourne vite à la guerre de clochers, le discours devient difficilement compréhensible pour les annonceurs.

D’où le développement, dans le cadre de la Commission RSE de l’Udecam que je préside, de cette solution collective de mesure de l’empreinte environnementale des campagnes médias, fondée sur une méthodologie indépendante du marché et institutionnelle (méthode PEF de l’Union Européenne, ndlr) qui permet de mesurer l’ensemble des 16 catégories d’impacts environnementaux, dont le Carbone.

Comme dans toutes nos approches, nous testons et benchmarkons depuis le début de l’année des solutions d’attention. C’est la première phase. Viendront ensuite des parti-pris et axes de progression, qui peuvent aller vers une customisation de solutions existantes par exemple, mais nous n’en sommes pas encore là. Nous avons besoin de mieux comprendre les différentes méthodologies, cela se fait par expérience et demande donc du temps.

The Media Leader : Comment se portent les investissements dans l’audio aujourd’hui ?

P.G-B : Ils ont doublé chez nous en un an. Ce n’est pas une surprise car la place qu’occupe l’audio dans la vie des Français n’est plus à démontrer à présent. La bonne nouvelle est que, comme les autres médias offline qui se digitalisent vite, les capacités de ciblage se développent. Ce qui facilite son déploiement dans les campagnes.

Chez Values.media, comme pour la TV segmentée ou le DOOH, nous l’opérons en programmatique. Ce sont nos experts offline qui l’opèrent depuis nos DSP.

The Media Leader : Les possibilités de mesures vont se complexifier en 2024, notamment avec la fin des cookies tiers. Quelle est votre stratégie ?

P.G-B : La solution est un ensemble de solutions. Certes cela complexifie notre quotidien mais cela ouvre des opportunités intéressantes pour les annonceurs et les agences. Tout d’abord, nous croyons aux solutions d’ID, à l’image de notre accord data clean room. Nous allons enrichir cette stratégie avec de nouveaux accords de data collaboration avec des acteurs majeurs du marché en 2024. Ce qui est intéressant avec ce modèle est la création sur mesure, opérée par l’agence, de manière anonymisée et sécurisée, ce qui est une condition sine qua non pour le partenaire éditeur.

Aussi, nous avons bâti depuis plus de deux ans un outil interne à Values.media qui référence des milliers de segments, cookieless, disponibles auprès d’une vingtaine des plus gros éditeurs français. Ce référentiel permet à nos équipes conseil et digitales de rechercher et recommander des stratégies de ciblages complètes sur une audience recherchée. Cela évite qu’un trader se repose uniquement sur la data fournie par son DSP par gain de temps. C’est le problème de beaucoup d’agences très dépendantes de DV360 (Google) pour cette raison.

Enfin, nous avons testé de très nombreuses solutions contextuelles et sémantiques, avec des résultats très variés. Dans tous les cas, nos partis pris sont assez clairs sur les acteurs qui méritent de l’attention sur ce sujet.

The Media Leader : Quels sont vont engagements en matière de RSE ?

P.G-B : A notre connaissance, nous sommes la seule agence média en France à être labellisée RSE ISO 26000 (Label Lucie). Nous l’avons obtenue en septembre 2022, après plus d’un an de travail avec l’ensemble des collaborateurs, très volontaires sur le sujet. C’est une labellisation très exigeante, qui demande de définir des axes de progrès, des outils de mesure et des objectifs concrets.

Nous en avons déterminé 26, tels les sujets RH, de formation, mais aussi les sujets de qualité avec nos parties prenantes externes, c’est à dire nos clients et partenaires. Cette méthode est aussi très structurante d’un point de vue pilotage d’entreprise et nous a permis d’aller plus loin sur de nombreux sujets. Comme par exemple, nos méthodes de collaboration, nos outils de suivi, ou encore la sensibilisation à différents thèmes. Cette labélisation n’est pas acquise à vie, nous serons donc audités tous les 18 mois pour suivre les progressions, nous avons donc une exigence de résultat qui nous incombe.

L’engagement de Values.media, c’est aussi la création d’un fonds de dotation afin de soutenir un certain nombre d’actions associatives RSE mais aussi de servir un vrai engagement au service du pluralisme des médias

Notre engagement RSE s’illustre aussi au sein de la Présidence de la Commission RSE de l’Udecam depuis 2020 avec le développement de l’outil collectif de mesure de l’empreinte environnementale des campagnes médias, la définition et mise en place de la Charte RSE de l’Udecam, le partage et l’harmonisation des « best practices » des agences membres sur l’ensemble des champs de la RSE, comme l’inclusion, l’égalité ou encore le handicap, et avec le développement des initiatives communes RSE en partenariat avec l’AACC.

Enfin, l’engagement de Values.media, c’est aussi la création d’un fonds de dotation afin de soutenir un certain nombre d’actions associatives RSE mais aussi de servir un vrai engagement au service du pluralisme des médias ; l’accès aux médias responsables ; la lutte contre les fake news et la désinformation, la lutte contre le harcèlement et/ou l’orientation sexuelle sur les réseaux sociaux.

The Media Leader : Le 22 novembre, l’Udecam a renouvelé son conseil d’administration, dont vous faites partie. Quel sera votre rôle et comment comptez-vous porter votre sujet auprès des agences ?

P.G-B : Je tiens d’abord à saluer et rendre hommage à tout le travail de l’Udecam. De la Présidence à la Direction, du Conseil d’Administration aux commissions, c’est un formidable engagement qui est mis au service du collectif pour mieux faire comprendre et faire rayonner nos métiers, nos talents, la pertinence et la légitimité de l’intermédiation.

Mon rôle d’Administrateur s’inscrira dans la continuité du précédent mandat, c’est à dire contribuer à la force et au développement du collectif, apporter un éclairage et notre vision d’agence indépendante, consolider, partager et développer la diversité et la richesse des engagements RSE des différents membres de l’Udecam. Bref, un très beau programme engagé et engageant !

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