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Publicité digitale dans la pornographie : un montage bien rodé

Publicité digitale dans la pornographie : un montage bien rodé
L’industrie pornographique utilise des plateformes pour la publicité et aussi le programmatique comme TrafficJunky DSP appartenant à Aylo pour diffuser les pubs sur leur réseau. Image générée par l'IA.

ENQUÊTE. Avec 6 milliards de visites par mois, 136 milliards de vidéos regardées chaque année et environ 140 milliards de dollars de revenus en 2022, l’industrie du porno est un mastodonte digital. Quelle est donc la place de la publicité et son mécanisme ?

Même si les chiffres ou sources varient, les sites pornographiques ne représenteraient que 4% d’internet mais on parle d’environ 6 milliards de visites par mois (France TV info 2022), 136 milliards de vidéos regardés chaque année (Rapport Sénat 2022) et plus de 50% des utilisateurs d’internet (Sexual Alpha 2024). L’industrie pornographique génèrerait environ 140 milliards de dollars de revenus en 2022 (Rapport Sénat 2022) et sans doute plus avec les revenus non déclarés. Parmi les sites les plus visités ou connus, il y a Aylo (anciennement MindGeek et Manwin) qui possède les sites Pornhub, YouPorn, RedTube… Ensuite des sites comme XHamster, Marc Dorcel et bien d’autres. Cela va du contenu gratuit à payant, sans oublier les à-côtés de sites classiques pornographiques comme les sites de sexcam en ligne, réseaux sociaux comme OnlyFans, les sites de rencontres et autres.

Plateformes publicitaires, CPM et cookies

L’industrie pornographique utilise des plateformes pour la publicité et aussi le programmatique comme TrafficJunky DSP appartenant à Aylo pour diffuser les publicités sur leur réseau (Pornhub, YouPorn, RedTube…), ExoClick, TrafficStars etc… De façon générale, beaucoup de sites possèdent leur propre plateforme publicitaire. Avec un nombre d’annonceurs et un taux de clic moins important que sur un site traditionnel, le CPM (cout pour mille) pour du display se situe autour de 0,30 euros et peut descendre jusqu’à 0,05 euros (Internet marketing forum et Reddit), ce qui est toujours moins qu’un CPM moyen sur les sites traditionnels pour du display (environ 1 euro). Cela est aussi dû au taux de « win » très élevé sur ce traffic et cela peut aller jusque 90%.

Au-delà du fait que les sites demandent à l’utilisateur s’il est majeur ou non, ils utilisent aussi une CMP (consent management platform) pour le consent et finalités des cookies auprès de l’utilisateur.  Aucun n’utilise le TCF (IAB Europe Transparency & Consent Framework).

Cependant, tous les sites n’ont pas un niveau de granularité sur la transparence auprès du visiteur et cela peut se voir avec juste une ligne comprise avec d’autres explications sur le site et un bouton accepter et quitter, comme on peut le voir sur le site de sexcam Chaturbate.

Sur le site Pornhub, juste en cliquant pour dire que l’utilisateur est majeur, un cookie est placé pour une année.

La valeur 1 du cookie que l’on peut voir dans le navigateur n’aide pas pour obtenir l’âge de l’utilisateur…

Décryptage technique des plateformes publicitaires

Pour ce type d’inventaire, vous ne trouverez pas de ads.txt, de sellers.json ou autres standards afin de donner de la transparence sur leur fonctionnement et les plateformes publicitaires utilisés. Lorsqu’un utilisateur visite un site, les appels publicitaires utilisent généralement les catégories comme mots clés pour le ciblage et même le contenu. On peut le voir ci-dessous avec les sites Pornhub et XHamster.

D’ailleurs, les mots clés sont choisis par les personnes qui placent les vidéos sur le site. Sur Pornhub ou d’autres, ces mots clés peuvent être modérés par la communauté et même avec un système de vote. Une vraie collaboration communauté – plateforme.

Comme sur un site traditionnel, il y a du display (bannière et interstitiel), vidéo, audio et bien d’autres… Cela peut être des publicités pour de la promotion de profil d’acteur ou créateur de contenu, sur le site ou des marques, des sites de rencontres, cam show, etc…

Concernant l’URL de redirection dans la publicité, le même mécanisme est visible. C’est-à-dire plusieurs intermédiaires entre le premier clic et la destination finale. D’ailleurs initialement, l’utilisateur ne connait pas la destination finale. Démonstration :

  •  Le site Spankbang place une pub sur le site pour un site de rencontres, mais sans connaître la destination. Une partie de l’URL de redirection (https://s.magsrv.com/click.php?d=H4sIAAAAAAAAA4WTS4_aMBCA_…) et la pub ci-dessous

  • Un intermédiaire va récolter des informations du site précédent et mieux connaitre l’utilisateur en proposant une « enquête » sur les gouts, sa ville, fantasme, etc…
    L’URL : (https://xflirtin.com/nearby/m/fr/15m/?domain=www.xmtrk.com&…)

  • Après avoir fini cette enquête, un autre intermédiaire prend la relève pour une autre enquête et affiner le profil

  • Pour ensuite finir sur le site de rencontres « Connexion Voisine » afin de créer un compte et l’utiliser

Cette publicité est un exemple parmi tant d’autres, car derrière une simple bannière, il existe plusieurs intermédiaires profilant et récoltant des données précises de la part du visiteur. L’annonceur final obtient lui aussi cette data et un potentiel nouvel inscrit. On estime à plus de 40% d’utilisateurs de VPN (Security.org) et 40% d’utilisateurs d’ad blocker sur les sites pornographiques (Labo societenumerique France gouv). Cela pourrait effrayer ces sites et annonceurs, mais avec le volume d’utilisateurs et de visites, il y a suffisamment à monétiser. Plutôt rentable pour une simple pub avec un faible CPM

Côté transparence, la plupart de ces publicités permettent de fournir directement des détails publicitaires via un bouton d’information. Même si le site Pornhub se doit d’afficher ces informations pour être en accord avec l’article 26 du Digital Service Act (identifier la pub, le ciblage utilisé, l’entité qui a payé la pub…) car il a été reconnu en tant que VLOP (Very Large Online Platforms) par la Commission européenne, l’information sur l’acheteur ou l’annonceur est souvent compliquée à identifier, car peu connu du grand public.

Zoom technique sur les publicités et leur but

Il existe des publicités simples, c’est-à-dire en un seul clic l’utilisateur est redirigé sans intermédiaire vers l’annonceur par le biais d’URL de redirection. Dans un style un peu plus complexe, l’URL suivante provenant d’une publicité diffusée sur le site Spankbang redirige vers différents annonceurs au lieu d’un seul (par exemple, une publicité Adidas redirigera uniquement vers Adidas. Dans le cas d’un carrousel où il y a plusieurs marques dans la publicité, les annonceurs sont plutôt clairement déclarés). Dans notre cas, il y a une sorte de rotation d’annonceurs et qui n’est pas clair pour le visiteur avec le lien suivant provenant de la publicité ci-dessous (Lien de la publicité avec des annonceurs qui varient…).

À partir de cette publicité précédente, il est possible d’accéder aux annonceurs suivants comme Fantasmeinterdit, Damesmaturesproches ou encore Mavoisinetentante.

        

En fonction de la configuration de la publicité qui redirige vers différents annonceurs, il est possible de se demander s’il existe un lien. Trois sites ont été dans un terminal et il s’avère que Fantasmeinterdit et Damesmaturesproches proviennent de la même adresse IP, donc du même serveur.

En regardant les sites Fantasmeinterdit et Damesmaturesproches, on peut constater ci-dessous que les templates utilisés pour les sites sont identiques… Un véritable ad network.

Ce qui pose la question : y a-t-il d’autres sites connectés ? La réponse est oui, car via cette adresse IP, se distinguent 12 sites dans le secteur pornographique sur ce même serveur.

À noter, avec une couleur différente mais le même template, les sites Aventurestentantes, Femmesavecsecrets se révèlent.

    

L’utilisateur ne se rend pas compte, mais en répondant aux différents questionnaires, en visitant ou s’inscrivant avec une adresse mail à un de ces 12 sites web, celui-ci va aider ces sites à lui créer un profil sur mesure. Un véritable ad network. Si l’on regarde les mots clés de ces 12 sites, il est notable que la psychologie joue un rôle important (Sentimentssincères, Fantasmesinterdit, Jeuxromantique…). Comme on peut le voir, un visiteur peut être redirigé vers différents contenus pour être poussé au paiement :

  • Site de rencontres autour du sexe
  • Site pornographique
  • Réseaux sociaux
  • Site de sexcam en ligne
  • Etc…

Même si la publicité n’est pas d’une grande qualité, en moyenne un visiteur peut dépenser entre 100 et 500 euros par an chez l’annonceur (donc sur un site pornographique) et cela concerne environ 25% du volume des recherches sur Internet (Quora thread, Sexual Alpha).

La donnée est clé et comme expliqué dans la précédente partie, l’utilisateur la fournit avec les enquêtes sur les gouts, le lieu etc…  Et parfois plusieurs fois entre la publicité et l’URL de destination finale avec quelques fois une demande pour donner son adresse mail (idéal pour du phishing et surtout pas de SupplyChain Object provenant du Standard de l’IAB Tech Lab pour savoir qui a participé dans l’achat de l’emplacement publicitaire). Ce qui peut aussi inciter un utilisateur à créer un compte est la disponibilité de contenu additionnel en contrepartie.

Le contenu pornographique varie selon les utilisateurs et c’est d’ailleurs pour cela que de plus en plus de sites rassemblent tout dans un seul endroit. Sur un site, vous pouvez voir des vidéos, du sexcam, des rencontres etc… Intéressant pour le site qui devient un ad network et aussi pour les annonceurs.

Les sites prennent aussi en compte la durée d’un utilisateur sur un site pornographique. D’après Pornhub en 2023 (Pornhub Insight 2023), le temps mondial moyen passé sur le site est de 10 minutes et 9 secondes.

Toujours d’après Pornhub, le mobile est de loin le device numéro un.

En ce qui concerne les visiteurs utilisant des consoles de jeux vidéos, les gamers possédant une Playstation 4 ou 5 sont devant avec plus de 80% du traffic des visiteurs dans cette catégorie.

Les sites pornographiques : un baromètre social

Des informations sont à prendre en compte sur les visiteurs :

  • L’Age : en théorie, il faut être majeur pour accéder à un site pornographique mais aujourd’hui l’accès est très facile, surtout via n’importe quel device (ordinateur, portable, tablette, télévision connecté…). D’après des recherches, les visiteurs sont de plus en plus jeunes, à partir de 10 ans et même plus jeune… (Teen and pornography research 2023 par common sense, le témoignage de la chanteuse star Billie Ellish sur son addiction à 11-14 ans).
  • Le contenu : viol, pédopornographie… Les utilisateurs peuvent regarder, diffuser, télécharger des vidéos et même des photos. Un endroit avec une modération très légère, voir même inexistante…
  • Consommation : La durée moyenne par utilisateurs est de 10 minutes et 9 secondes (Pornhub Insight 2023), cependant ce n’est qu’une moyenne. Beaucoup d’utilisateurs y vont plusieurs fois par jour, plus longtemps etc…
  • La donnée : Le vol de données (Sur le site Luscious, sur le site Pornhub etc…) peut être utilisée pour du blackmail ou autre. Cependant, de façon général, les sites pornographiques ne vendent pas leur donnée pour la simple et bonne raison, qu’ils préfèrent l’utiliser afin d’influer sur les utilisateurs (Rapport de Quartz).
  • Addiction : les sites pornographiques changent des personnes, impactent des familles, des mariages (par exemple l’acteur Terry Crews), change la perception du sexe auprès des jeunes et des adultes…

Les sites pornographiques sont un baromètre social. Il est possible de le voir en fonction des catégories utilisées pour les vidéos en tendance et les recherches. Sur un site traditionnel utilisant l’OpenRTB et le programmatique, des catégories ne sont plus autorisées comme le sexe, genre et d’autres. Les sites pornographiques n’ont pas de limite ou presque de ce côté, ce qui rend les tendances de recherches pour du contenu très larges, comme on peut le voir sur le site YouJizz par exemple, avec une partie des 12563 catégories ci-dessous.

À la fin, ces mots ou catégories sont utilisés pour du ciblage publicitaire et profiler les utilisateurs, comme démontré dans les parties précédentes. Cela peut même aller jusqu’à demander des informations sur la santé d’un utilisateur, surtout sur les sites de rencontres (vacciner contre le Covid ou non, porteur du VIH ou non, religion, parti politique…).

Beaucoup pensent que seuls les sites pornographiques ont besoin d’être régulés, mais ce n’est qu’une partie de l’iceberg. La multiplication des contenus (connexion avec des objets électroniques, casque de réalité virtuel, intelligence artificiel, deepfake etc…) et la facilité d’accès font que cette industrie évolue rapidement et sans limite. La data circulant entre toutes ces entités montrent une industrie hors de contrôle.

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