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Bertille Toledano et David Leclabart (AACC) : « L’IA montre aujourd’hui que la médiocrité peut être produite gratuitement »

Bertille Toledano et David Leclabart (AACC) : « L’IA montre aujourd’hui que la médiocrité peut être produite gratuitement »
Bertille Toledano et David Leclabart, les deux co-présidents de l'AACC, détaillent l'avenir de l'AACC.

INTERVIEW DU LUNDI. À l’occasion des Cannes Lions 2024, Bertille Toledano (BETC) et David Leclabart (Australie.GAD), les deux co-présidents de l’AACC, détaillent l’avenir de l’Association des Agences-Conseils en Communication, les relations entre agences et annonceurs, sans oublier le rôle de l’IA dans leur métier, et la place qu’occupe la publicité au sein de la société. La nouvelle AACC doit être présentée à l’occasion d’un événement sur La Croisette.

The Media Leader : Votre premier mandat s’est articulé autour de quatre chantiers : la transition écologique, la défense de la valeur du travail des agences et de leurs talents, l’attractivité et la diversité, et la relocalisation des productions. Quel bilan en tirez-vous ?

David Leclabart : Le premier point, c’est que ces quatre chantiers nous ont aidé à structurer les travaux de l’association pour bien promouvoir et défendre nos métiers. Cela a permis à de nombreux présidents et présidentes d’agence de participer et de porter ces chantiers. On a ainsi pu être beaucoup plus représentatifs de la réalité de notre métier qu’auparavant. Concernant les engagements autour de la transition écologique, indépendamment des États généraux et des initiatives individuelles, permettant à plus d’agences de piloter leur empreinte carbone. Bien que le travail soit colossal et touche la société en général, aujourd’hui, les agences sont capables de conduire leur trajectoire carbone. Le nombre de contrats climat signés par les agences est également très satisfaisant. Une grande majorité des membres de l’AACC ont adhéré, ce qui montre une dynamique positive. Ce chantier se poursuivra au-delà du mandat.

Concernant la relocalisation de la production en France, bien que beaucoup d’énergie y ait été consacrée, cela n’a pas donné les résultats escomptés à cause des contraintes financières nationales. Cependant, le travail de fond a été important.

Au sujet de la défense de l’avenir de nos métiers, beaucoup de travail a été fait et continue grâce, entre autres, à Cécile le Jeune, autour du projet « Créativité is business ». Nous constatons que la créativité génère de la valeur. Par exemple, sur l’investissement global d’une campagne, 51% de l’efficacité vient de la puissance du média et 49 % de l’idée. Cependant, l’idée ne coûte pas 49% du budget ; elle a un effet considérable tout en représentant une petite partie du coût.

Bertille Toledano : Le chantier de la production est en grande partie remplacé par celui de l’intelligence artificielle. Les enjeux créatifs et productifs en France sont maintenant liés à l’IA, qui rapproche la création et la production de manière intéressante.

Un autre élément intéressant est les journées des acheteurs, organisées une fois par an pour sensibiliser au business model. Cela aide à améliorer la compréhension entre les annonceurs et les agences, valorisant ainsi le travail du marketing et de la communication.

Nous travaillons avec l’Union des marques et refondons le guide de la relation annonceur

David Leclabart

The Media Leader : Qu’est-ce que cela a induit, comme changements ?

D.L : Un changement positif. Nous travaillons avec l’Union des marques et refondons le guide de la relation annonceur, qui n’avait pas été actualisé depuis une quinzaine d’années. Cependant, des problématiques sont encore visibles, notamment autour des appels d’offres. Le nombre d’agences impliquées dans les appels d’offres a diminué, ce qui est un progrès, mais la question de la rémunération des agences n’est pas encore résolue. Les méthodes d’appel d’offres pour des contrats pluriannuels sont parfois appliquées à des contrats one shot, ce qui est nuisible. Il y a encore des défis à relever, mais nous avons démontré l’efficacité de nos métiers et il faut continuer dans cette voie.

B.T : Ce qui a été un succès, c’est de commencer à parler directement aux acheteurs. Avant, nous pensions que les directeurs marketing avaient le pouvoir sur leurs acheteurs, mais en réalité, la machine s’est inversée depuis longtemps. Il est crucial de parler aux directions achats pour expliquer que la multiplication des assets est incompatible avec les engagements RSE. Nous devons limiter quantitativement les demandes pour basculer vers un système plus qualitatif. Cette discussion est bénéfique pour tous.

Beaucoup d’agences refusent désormais des appels d’offres non conformes, ce qui montre un changement dans l’équilibre des pouvoirs

Bertille Toledano

The Media Leader : Les annonceurs ont-ils saisis ces nouveaux enjeux ?

B.T : Oui, ils le comprennent lorsque c’est expliqué avec fermeté et que l’on discute en dehors des périodes d’appels d’offres. Il est essentiel de négocier avant de rentrer en compétition. Lors des compétitions, il est important de respecter les règles fixées avec l’AACC pour une compétition responsable. Beaucoup d’agences refusent désormais des appels d’offres non conformes, ce qui montre un changement dans l’équilibre des pouvoirs. Les appels d’offres qui se soldent par un non-lieu, sans raison valable, méritent une lettre de la direction de l’AACC pour signaler la pratique à la direction de l’entreprise et de la marque. Il faut de la clarté et de la vérité dans nos échanges.

D.L : Lors du premier mandat, nous avons négocié avec Bercy pour établir des lignes de conduite claires pour les appels d’offres publics, avec des principes transposables au secteur privé. Par exemple, le dédommagement des agences à hauteur de 80% de ce qu’elles fournissent pourrait réduire le nombre d’agences dans les listes et rendre les compétitions plus sérieuses.

The Media Leader : Ces quatre premiers chantiers seront-ils les mêmes pour le nouveau mandat ? Rappelons que vous lancez ce jeudi la nouvelle AACC…

D.L : Oui, nous conservons les mêmes piliers : la transition écologique, la créativité business, la valeur ajoutée et l’attractivité. Nous allons radicaliser notre approche pour mettre en avant la créativité, essentielle pour les enjeux écologiques et la création de valeur. Nous ferons évoluer notre identité et notre écosystème digital pour refléter cela.

B.T : Nous assumons notre appartenance aux industries créatives et culturelles. Nous annonçons une nouvelle identité et la continuité de nos travaux pour valoriser la place de la création française dans le monde.

The Media Leader : Le festival de la créativité devient de plus en plus celui des adtech. La créativité a-t-elle vocation à disparaître ? Quid de la place de la France sur la scène internationale ?

B.T : La France est bien représentée, étant le quatrième pays en termes de créativité. Notre coefficient de transformation en prix est très bon. Nous représentons une alternative créative au modèle anglo-saxon, avec une création plus culturelle et puissante. La création est un atout culturel en France, et nous devons continuer à la promouvoir et à la valoriser dans un contexte international.

D.L : Le festival a changé avec l’arrivée des GAFAM et des acteurs de la tech, mais cela montre aussi que la création a une grande valeur, même pour eux. C’est une bonne nouvelle. La créativité française a encore de beaux jours devant elle. Nous avons des champions dans nos agences, et notre culture créative est reconnue mondialement.

The Media Leader : Quel rôle pourrait jouer l’IA dans les prochaines années ?

D.L : L’IA montre aujourd’hui que la médiocrité peut être produite gratuitement, ce qui valorise encore plus nos métiers. Nous cherchons à créer quelque chose de singulier et d’innovant pour nos clients. Nos métiers reposent non seulement sur la création mais aussi sur l’écoute. L’écoute des besoins de la société et des problèmes des clients est essentielle pour trouver des solutions humaines et non rationnelles. Actuellement, l’IA se base sur des données passées et non sur les émotions, ce qui laisse une marge de progression considérable. Donc, oui, l’IA est plutôt enthousiasmante pour nous.

L’arrivée de l’IA générative représente une rupture technologique majeure, semblable à l’arrivée de la photographie après la peinture

Bertille Toledano

B.T : L’arrivée de l’IA générative représente une rupture technologique majeure, semblable à l’arrivée de la photographie après la peinture. Cette rupture et l’accélération qui l’accompagne suscitent des craintes. Nous constatons une évolution rapide de ces technologies. Par exemple, nous donnons le même brief à différentes plateformes d’IA générative chaque semaine, et les résultats varient considérablement d’une semaine à l’autre, montrant la vitesse à laquelle ces outils progressent. La création, étymologiquement, signifie produire quelque chose d’inédit. Si l’IA ne permet pas cela, je ne sais pas ce qui le pourrait. Les créatifs adorent explorer de nouveaux outils pour en tirer le meilleur parti. Nous automatiserons les tâches répétitives et sans valeur ajoutée, mais pour le reste, nous resterons du côté de l’émotion et de l’innovation. Le croisement entre l’IA, la création et la production promet de dévoiler un potentiel créatif nouveau et excitant.

The Media Leader : Quelle est la place de la publicité dans la société, notamment dans sa relation avec les médias ?

B.T : Une des questions à se poser est celle du partage de la valeur entre l’idée créative et les médias. L’attention de qualité devient cruciale. Nous devons redéfinir la fonction des médias et expliquer leur importance démocratique. Il est crucial de faire comprendre que la publicité finance en partie la démocratie. Le glissement vers les GAFAM pose des dangers pour les médias traditionnels et la démocratie. Il faut hiérarchiser les contenus et reconnaître la prise de pouvoir des plateformes. La créativité doit rester au centre de nos métiers. TikTok, par exemple, est une plateforme intéressante pour des narrations scientifiques et créatives.

D.L : Les États généraux de l’information sont une opportunité pour remettre à plat ces enjeux. Nous devons être audibles sur le discours de la publicité comme financement de la liberté médiatique. Nous ne sommes pas anti-GAFAM, mais nous devons être conscients des enjeux. La qualité de l’attention et la valeur des espaces publicitaires sont en question. Par ailleurs, une grande accessibilité des médias digitaux existe, ce qui permet à de nombreux annonceurs de communiquer. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement la création de marques fortes. La fragmentation des médias a démocratisé nos métiers, mais il est essentiel de continuer à valoriser la création et la qualité de l’attention.

Sur les plateformes, les règles ne sont pas les mêmes partout et cela pose problème

David Leclabart

The Media Leader : Vous sentez vous contraint d’utiliser ces grandes plateformes ?

B.T : TikTok, c’est du storytelling, donc intéressant pour nous à appréhender. Encore une fois, il ne s’agit pas d’être anti-GAFAM, mais de remettre les sujets au bon endroit : quels sont les contenus de qualité, quels sont les contenus ludiques, quels sont les contenus informatifs ? Vous avez besoin de tout pour construire une marque, utilisons donc tous les outils disponibles.

Nous avons transformé une génération en hommes et femmes sandwich sur les médias sociaux. Nous ne pouvons pas faire comme si on ne le voyait pas. Les influenceurs doivent clairement annoncer leurs intentions. La publicité, c’est un contrat clair. 

Cela pose une question démocratique de l’universalité. Les médias traditionnels comme l’affichage et la presse ont une force d’universalité, touchant beaucoup de personnes simultanément, sans faire de tri. Cela donne une célébrité aux propos.

D.L : Il y a un mélange des genres. Nous avons une probité dans notre démarche professionnelle. Quand on fait de la publicité, cela doit surtout être marqué comme tel. Il existe un espace de séduction qui vise à changer des perceptions et à convaincre. Les règles du jeu sont claires. Sur les plateformes, les règles ne sont pas les mêmes partout et cela pose problème.

The Media Leader : Si le marché publicitaire global, selon le Bump, recense 71 369 annonceurs, avec une forte présence digitale (80%), les médias digitaux comptent 56 856 intervenants, dont 76% sont exclusifs au digital. Le paid social capte, à lui seul, 32 886 annonceurs dont 97% investissent les deux plateformes du groupe Meta (79% sur Instagram et 45 % sur Facebook). Les GAFAM sont devenus la norme et peuvent brider. Quel regard posez-vous sur ce constat ?

B.T : Les grands annonceurs comme Procter & Gamble ont compris qu’ils devaient être présents sur les écrans et les médias sociaux, mais avec des messages réfléchis pour chaque plateforme. Il y a eu un effet de modernité où défendre les médias classiques faisait de vous un vieux jeu. Aujourd’hui, ces acteurs ne s’aperçoivent pas que le digital n’est pas forcément moins cher et qu’il y a des coûts cachés.

D.L : Avec la fragmentation des médias, il y a eu une énorme accessibilité, et tout le monde peut devenir annonceur. Cela permet à des annonceurs de communiquer même sans grands moyens, mais est-ce que cela crée des marques fortes ? Je ne sais pas. Cela a démocratisé nos métiers de manière impressionnante.

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