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Fabrice Bazard (Ouest-France) : « Un bon média maitrise la relation à son lecteur »

Fabrice Bazard (Ouest-France) : « Un bon média maitrise la relation à son lecteur »
Les quatre membres du directoire de Ouest-France (de gauche à droite) : Fabrice Bazard, directeur général, François-Xavier Lefranc, Président du directoire de Ouest-France et directeur de la publication, Maud Lévrier et Olivier Porte. | DAVID ADEMAS / OUEST-FRANCE.

Interview du lundi. Première marque de presse au classement ACPM de la diffusion payante, deuxième au classement des groupes de presse digitaux, Ouest-France, quotidien régional à la résonance nationale, remet son modèle en question et souhaite accélérer sur le numérique. Additi Média, régie de Ouest-France entame également sa mue. Fabrice Bazard, directeur général de Ouest-France et d’Additi Média est l’invité de la rédaction.

The Media Leader : Vous êtes arrivé au mois de juin 2023 au poste de directeur général de Ouest-France. Quelle est votre feuille de route ?

Fabrice Bazard : Tout d’abord, notre approche est celle de renforcer la proximité de la régie avec l’éditeur, c’est crucial pour qu’une régie publicitaire soit efficace.

Nous souhaitons également renforcer la publicité hybride, incluant le brand content et le côté plus commercial, sans oublier un facteur important, celui de la proximité.

Lors de la nouvelle gouvernance, nous avons maintenu la continuité avec la nomination de quatre personnes déjà présentes chez Ouest-France. Notre objectif n’est pas de provoquer une rupture, mais plutôt d’accélérer la transformation numérique.

Ouest-France a connu une érosion marquée du print en 2022-2023. Cette année, l’érosion est d’un peu moins de 2%.

Nous devons maîtriser l’érosion de l’activité print en augmentant le prix du journal de moins de 10 centimes par rapport à 2022-2023, où il avait augmenté de 20 centimes.

Pour assurer la croissance de notre portefeuille, nous visons 100 000 abonnés par an, qu’ils soient abonnés à la version papier ou numérique

Nous rencontrons également des difficultés sur le portage, avec environ 10% de porteurs manquants, surtout le dimanche. Nous avons donc lancé le chantier « Ouest-France Demain » sur tous les supports pour mieux comprendre nos lecteurs, abonnés, et non-lecteurs. Les résultats seront disponibles mi-décembre.

Pour assurer la croissance de notre portefeuille, nous visons 100 000 abonnés par an, qu’ils soient abonnés à la version papier ou numérique.

Enfin, nous avons développé le pôle magazine avec des titres sur la mer, la cuisine, le tourisme, et le jardinage. Nous réfléchissons à élargir notre gamme, notamment avec une offre centrée sur les jeux.

The Media Leader : Le modèle du New York Times vous inspire-t-il ?

F.B : Pourquoi pas ! L’idée d’acquérir, par exemple, une start-up dans le domaine des jeux est envisageable, car il existe une véritable adhérence au produit de la part de 100 000 personnes sur la verticale.

Nous ambitionnons d’être encore plus exhaustifs en termes d’information, surtout au niveau local.

Bien que nous soyons un média de référence nationale, nous ne renions pas notre ADN, nos abonnés sont principalement dans l’Ouest. Néanmoins, 82% de nos lecteurs se trouvent en dehors de la zone historique. En ce qui concerne les abonnements, nous n’avons pas réussi à étendre notre portée. Notre objectif est donc de développer les pages nationales et internationales.

Nous bénéficions d’un niveau de portage supérieur à d’autres médias, et notre journal est équilibré.

Le premier retour de l’étude auprès de nos lecteurs est plutôt positif en ce qui concerne les contenus. Cependant, pour les jeunes, le journal semble un peu illusoire et ne parle pas à leur génération. Il serait donc intéressant de créer une marque spécifique pour les jeunes, mais quels seront les pas suivants ? Quelle passerelle pour les engager davantage ? Pour les jeunes, par exemple, le numérique doit être un média incarné, ce qui contraste avec la position actuelle d’Ouest-France. Il n’y a pas de logique de grande signature, et peut-être devrons-nous revoir notre position.

Il pourrait également être envisageable de rechercher des marques qui ciblent les jeunes de manière plus proactive, notamment en les plaçant sur des emplacements plus visibles, comme les quatrièmes de couverture.

L’éditorial et la publicité devraient être plus personnalisés

Cela nous oriente vers une approche plus personnalisée. Cependant, nous ne voulons pas enfermer les gens dans une bulle informationnelle. L’éditorial et la publicité devraient être plus personnalisés, mais cela nécessite l’utilisation de la data.

The Media Leader : Votre édition dominicale se porte bien avec une diffusion payée de 398 251 exemplaires en octobre, en évolution de +1,75% sur un an. Quelle est votre stratégie pour 2024 ?

F.B : Nous sommes en progression grâce à une dynamique favorable dans le numérique. En comparant les tirages du dimanche et de la semaine, nous pourrions envisager une septième édition plus performante et atteindre un tirage de 150 000 exemplaires supplémentaires.

Cependant, cela suscite également des interrogations notamment sur une édition commune avec celle du samedi.

The Media Leader : Comment accueillez-vous l’arrivée de La Tribune Dimanche et quel regard portez-vous sur la mue du JDD ?

F.B : Je ne donnerai pas mon ressenti sur l’évolution du JDD.

Pour La Tribune Dimanche, nous considérons que l’arrivée de concurrents est une bonne nouvelle. Cela soulève, chez nous, des questions quant aux contenus du septième jour. Actuellement, nous n’avons pas une logique très structurée en termes de rendez-vous, mais il pourrait être bénéfique d’accentuer notre focus sur ces moments clés. Peut-être devrions-nous accorder davantage d’importance aux enquêtes. Ce choix n’est pas anodin.

L’arrivée de concurrents est une bonne nouvelle

The Media Leader : Pour Additi Média, la régie publicitaire de Ouest-France, vous avez récemment recruté Luc Vignon, qui officiait auparavant chez 366. Quelles sont vos ambitions ?

F.B : La régie se divise en deux pôles : Additi Com et les activités diversifiées, telles que les petites annonces, l’immobilier, le pôle radio et les annonces légales.

Nous avons récemment recruté Luc Vignon pour le premier pan. Il prendra ses fonctions le 8 janvier, pour le pôle content et monétisation.

Pour le second pan, nous investissons 3 millions d’euros dans le contenu vers le commerce. Aujourd’hui, la question du brand content se pose et nous pensons pouvoir faire mieux.

The Media Leader : Vos deux parcours respectifs dans l’IT et la transformation numérique présagent-ils un bond en avant dans ce domaine pour le journal et pour la régie ?

F.B : Nous devons améliorer nos passerelles bi-supports. Pour être performants dans le numérique, il est impératif d’exceller également sur le print.

Concernant les nouveaux produits de la marque, nous sommes passés d’une approche très exclusive à des offres en multidiffusion. Nous allons intensifier nos efforts dans le domaine de la vidéo et de l’audio, même si cela ne fait pas partie intégrante de notre ADN. C’est un défi complexe pour la régie, qui vendait le numérique en complément du print. Cela nécessite aujourd’hui une révision des offres commerciales. Nous étions dans une approche tarifaire modérée, mais il est temps d’apprendre à vendre le numérique à un prix plus élevé.

Avant l’arrivée de Luc Vignon, nous avons recruté Marine Mauriaux au marketing pour développer une gamme étendue et très digitale, proposant des offres à des prix compétitifs.

The Media Leader : Allez-vous miser sur l’évènementiel et davantage sur les OPS ?

F.B : Nous disposons d’un produit appelé Ouest-France Communication, générant un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros sur le brand content pour l’ensemble de nos produits. Le content to commerce atteint un peu plus de 3 millions d’euros. Il est logique de développer cela.

Nous fondons nos attentes sur Luc Vignon pour développer la vidéo et optimiser la monétisation de nos contenus vidéo.

The Media Leader : Quelle est la part du local et du national dans la stratégie d’Additi ?

F.B : En numérique, la part nationale n’est pas très élevée. En local, cela représente 90% des opérations.

Nous nous concentrons tout d’abord sur la maîtrise du savoir-faire du programmatique, car nous n’avons pas une stratégie claire à court et moyen terme, nous voulons assurer une maîtrise des coûts et des changements. La question cruciale est de déterminer comment entrer dans un mode de coopération plus efficace avec 366. L’embauche de Luc Vignon favorisera cette collaboration.

The Media Leader : Vous appuyez-vous sur l’IA dans la rédaction, à l’image du groupe Ebra ? Et pour les assets pubs ?

F.B : Récemment, nous avons diffusé une note de bonnes pratiques : éviter l’utilisation de licences gratuites de ChatGPT, jugées trop perméables en termes de données et peu sécurisées lorsqu’il s’agit d’informations journalistiques sensibles.

Depuis 2014, nous faisons usage de la robotisation de contenu, exclusivement dans le cas de contenus basiques et lorsque des données sont disponibles, telles que les résultats d’élections. Cela permet de libérer les journalistes de tâches chronophages.

L’utilisation de l’IA générative va multiplier les interrogations autour de la transparence. Lorsque nous l’utiliserons, cela devra être fait de manière transparente. Nous pouvons envisager d’intégrer un « R2D2 » dans la signature de l’article !

Je pense que le groupe Ebra s’est peut-être un peu trop précipité, le sujet étant trop sensible.

Je pense qu’il y a beaucoup à explorer du côté de la publicité, notamment en ce qui concerne l’illustration, avec des options telles que Midjourney ou OpenAI pour les actifs publicitaires. L’IA peut être bénéfique sur le text-to-speech, par exemple. Actuellement, nous examinons la capacité de l’IA à résumer des articles. Bien que ce ne soit pas parfait, une relecture sera toujours nécessaire.

La technologie suscite toujours des craintes, malgré le fait qu’elle élève les professions vers de nouveaux sommets. Elle peut, par exemple, nous aider à libérer du temps pour se consacrer au reportage.

The Media Leader : Qu’en est-il de la question des droits voisins ?

F.B : Dans un monde idéal, notre conviction est que le droit voisin devrait constituer une troisième enveloppe financière, renforçant ainsi la robustesse de notre compte d’exploitation. Idéalement, cela aurait dû représenter quatre à cinq fois ce que nous avons obtenu, soit entre 10 et 20 millions. Cependant, cela ne s’est pas concrétisé de cette manière.

La négociation a été longue et s’est dispersée, et Twitter n’a malheureusement pas versé de droits voisins.

Nous avons été les derniers à signer, car nous ne voulions pas que Google exploite nos contenus, les traduise et les synthétise, entraînant une perte de sens. Cela s’applique également à ChatGPT. Nous avons bloqué cette situation pour y voir plus clair avec les fameux bots, qui sont maintenant difficiles à détecter en raison de changements de noms dans leurs requêtes. Ils distinguent la fouille pour le machine learning et la requête pour écrire son contenu. La question du collectif média va donc se poser à nouveau.

Les négociations des droits voisins devraient reprendre à l’été 2024 avec Google, dans un contexte d’IA.

Quant au futur Google SGE et à l’impact que Bard aura sur le SEO, cela pose des risques financiers et des risques d’audience.

The Media Leader : Ouest-France est-il préparé à la fin des cookies tiers ?

F.B : Nous avons développé certaines solutions cookieless via la sémantique, permettant une publicité personnalisée en fonction des mots-clés. Pour le référencement, les médias bénéficient d’un référencement naturel via le foisonnement des contenus et des verticales. L’enjeu crucial est d’atteindre 6 à 7 millions de visiteurs uniques pour 200 000 connectés. Il est donc impératif de requalifier notre base et d’évoluer dans un environnement logué.

En ce qui concerne Google on Tap, il pourrait servir de pare-feu à condition qu’ils s’inscrivent à la newsletter. Car chaque mois qui passe incite à davantage de qualité et d’efforts éditoriaux. Et au final, je pense que Google mènera forcément une chasse à l’IA, et le contenu original deviendra payant.

Aujourd’hui, l’enjeu majeur pour un média est de ne pas être intermédié. Il est crucial que nous réussissions à développer plus de sources de trafic et de ne pas dépendres des grandes plateformes. Nous avons, par exemple, choisi de ne pas utiliser Google Subscribe car un bon média maîtrise la relation avec son lecteur.

The Media Leader : Dans le cadre des Etats Généraux de l’information, l’indépendance de la presse est l’une des questions soulevées. Ouest-France n’appartient à aucun grand groupe, mais à une association. Quelle est la force de ce modèle ?

F.B : Nous avons soumis notre modèle à un audit. Depuis les années 90, nous avons opté pour une association pour nous protéger d’éventuelles OPA. Nous ne souhaitions pas devenir une fondation, par exemple, qui présente un défaut, car elle nécessite la présence d’un représentant de l’État autour de la table. Cela peut poser des questions en fonction de l’orientation politique du gouvernement.

Dans une démocratie, nous considérons que l’indépendance d’un média est indispensable. Le fait d’être une association nous oblige d’être rentable et à constamment réfléchir à développer de nouveaux formats et de nouvelles formules. Ainsi, nous avons une exigence élevée en termes de gestion et de performance. Je pense que la meilleure des indépendances est l’indépendance financière.

 


Ouest-France s’offre un coup de pub avec le globe trotter Antoine de Maximy

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