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L’European Freedom Act : un pas en avant ou une entrave à la liberté de presse ? – par Alexandre Lazarègue

L’European Freedom Act : un pas en avant ou une entrave à la liberté de presse ? – par Alexandre Lazarègue
Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique et droit de la presse.

Par Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique et droit de la presse.

Le mercredi 13 mars 2024, le Parlement européen a adopté le projet de règlement intitulé « European Freedom Act » qui vise à réguler la liberté de presse à l’échelle de l’Union européenne.

Initiative étonnante qui, si elle fait partie des compétences de l’UE, avait été réservée, jusque-là, à l’échelle nationale tant la question de la liberté de la presse et le rapport des citoyens aux journaux et médias est lié à l’histoire de chaque peuple.

Chaque nation entretient une relation unique avec sa presse. L’histoire de France est à cet égard singulier notamment avec l’adoption de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Écrite dans le tumulte de l’histoire après que les communards eurent luttés pour affirmer les idéaux républicains face aux excès autoritaires du Second Empire, cette loi équilibre avec finesse la protection contre les abus de la liberté d’expression, tout en la consacrant de manière quasi absolue.

Cette législation se distingue en effet par l’intégration de garanties procédurales robustes, offrant notamment le droit de réponse à toute partie lésée. Elle prévoit également un délai de prescription relativement court, ainsi qu’une échappatoire judicieuse permettant au mis en cause de se défaire de toute sanction liée à des accusations de diffamation, à condition de pouvoir démontrer la bonne foi sous-jacente à ses propos.

C’est d’ailleurs parce que le droit de la presse en France est si particulier que le Conseil constitutionnel a pu censurer l’essentiel des dispositions de la loi dite « Avia » qui entendait réguler l’expression publique sur les réseaux sociaux en conférant à ces derniers un pouvoir de contrôle trop important.

Les sages de la rue Montpensier avaient, pour motiver leur décision, rappelé qu’en France la liberté d’expression est un « pilier de notre démocratie » et que les plateformes numériques ne sauraient se voir conférer le pouvoir de juger de la légalité des opinions exprimées.

Défis de l’information lors des élections 2024 : réponse réglementaire de l’UE

Mais alors que plus de quatre milliards de personnes à travers le monde seront appelées à voter lors d’élections en 2024, le débat public est nourri par la montée des populismes et une manipulation de l’information exacerbée par l’intelligence artificielle.

Dans ce contexte, l’Union européenne a adopté un règlement visant à encadrer les médias afin de se protéger contre ces menaces. Il vise à établir une régulation centralisée de l’information, en instaurant des normes applicables dans tous les États membres.

Ce texte suscite de la défiance parmi de nombreux citoyens et journalistes qui perçoivent cette initiative comme une tentative d’imposer une régulation par le haut, craignant qu’elle n’aboutisse à une homogénéisation excessive, voire à une restriction uniforme de la liberté de presse.

Cette défiance est nourrie par l’image négative des Institutions Européennes perçues comme étant déconnectée des réalités territoriales et historiques des différentes composantes du continent.

Qu’en est-il réellement ?

Vers une protection renforcée de la Liberté de Presse et des sources journalistiques en Europe

N’en déplaise à ses détracteurs, les considérants de ce règlement affirment d’abord que le pluralisme des opinions et la diversité des idées est fondamental et c’est ce chemin qui constitue la ligne directrice du texte comme de la conception de l’Union européenne sur la presse.

Le secret des sources journalistiques est consacré si bien qu’aucune autorité judiciaire nationale en Europe ne pourra désormais en exiger la révélation.

Certes, le premier projet du texte prévoyait une exception lorsque ce secret était susceptible d’intéresser la sécurité nationale mais elle a été supprimée. En France, le secret des sources est également protégé par notre Code de procédure pénale même si on a pu déplorer la perquisition de plusieurs journaux et encore récemment de Mediapart dans le sillage de l’affaire Benalla. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné la France deux reprises à ce sujet.

Le texte s’enquiert également des logiciels espions installés sur les outils numériques des journalistes. Il offre aux victimes et à leurs familles la possibilité de signaler de tels agissements auprès d’un organisme dédié qui doit être créé par les États membres. On sait que des journalistes européens ont été soumis à une surveillance particulièrement intrusive par des États étrangers depuis l’affaire Pegasus. Avec ce texte, ils bénéficient désormais d’une protection accrue contre ce type de pratiques, qui condamne fermement ce type de procédé.

Renforcer l’indépendance éditoriale et la transparence financière dans le paysage médiatique européen

Le texte s’emploie également à établir une distinction nette entre la liberté rédactionnelle et les intérêts des propriétaires capitalistiques des médias. Ceux-ci ne doivent en effet pas pouvoir peser sur la ligne éditoriale, consacrant ainsi la liberté des rédactions.

Cette mesure doit être saluée alors que la rédaction du Parisien a récemment exprimé ses préoccupations quant à l’influence potentielle de leur propriétaire, Monsieur Bernard Arnault, sur leur ligne éditoriale.

La transparence sera, par ce texte, également de rigueur sur l’origine des financements des journaux, permettant à chaque lecteur ou téléspectateur de savoir qui finance la diffusion des idées.

De même, les réseaux sociaux seront désormais tenus de révéler l’identité des sources d’information présentes sur leurs sites. Cette mesure devrait faciliter l’identification des fake news et permettre aux utilisateurs de tracer l’origine de l’information. Cette transparence est d’autant plus cruciale dans le contexte actuel, marqué par des conflits en Ukraine et à Gaza, où la manipulation de l’information se répand et convainc avec une aisance alarmante.

Le règlement contraint également les États, à l’instar de ce qui est déjà pratiqué en France, à soutenir financièrement la presse dans son ensemble afin de garantir la diversité des médias et des opinions rappelant ainsi que la démocratie à un coût qui doit être supporté par tous ceux qui en bénéficient.

L’État est également responsable de surveiller les concentrations de médias pour prévenir une homogénéisation de l’information et la Commission européenne pourra également intervenir pour émettre des avis et contrôler les excès.

Cette mesure prend toute son importance alors qu’en France l’essentiel des médias sont détenus par une poignée de propriétaires, faisant peser une menace sérieuse pour la pluralité des opinions. Le Conseil d’État l’a récemment déploré au sujet de CNEWS (Conseil d’Etat, 13 février 2024, 5ème – 6ème chambres réunies, n° 463162) et une récente étude a mis en lumière l’impact significatif des idées d’extrême droite dans les médias détenus par Monsieur Bolloré, où une large place est accordée aux candidats qui soutiennent ces idées (Julien Labarre (2024) French Fox News? Audience-level metrics for the comparative study of news audience hyperpartisanship, Journal of Information Technology & Politics).

Les mesures visant à limiter l’influence des propriétaires de médias sur la ligne éditoriale de leurs publications, à promouvoir la transparence financière et à renforcer les mécanismes de limitation de la concentration des organes de presse seront-elles efficaces ? Seule son application concrète nous le dira.

Il n’est pas non plus certain que les dispositions visant à protéger les journalistes contre les actes hostiles de puissants pays étrangers soient suffisantes.  On peut également regretter la négation de la diversité culturelle en matière de presse alors que les États membres étaient parfaitement capable de réguler la manière dont les médias devraient fonctionner au sein de leur pays.

Ce texte a toutefois le mérite de surmonter les difficultés que semblent éprouver nos gouvernants qui peinent à réguler un secteur dominé par de puissances économiques et alors que depuis de nombreuses années, le constat de l’oligarchie médiatique est régulièrement dénoncé.

Contrairement aux critiques excessives formulées à l’égard de ce texte, rien dans son contenu ne suggère que l’Union européenne représente une menace pour la liberté d’expression. Bien au contraire, ce règlement vise à protéger la diversité des opinions, en limitant le pouvoir économique des propriétaires de médias rappelant par-là que les organismes de presse ne sont pas des entreprises comme les autres mais un bien commun, un pilier de la démocratie, qu’à l’heure du péril populiste, il convient de sauvegarder.

 

La rédaction de The Media Leader n’a pas participé à la rédaction de ce contenu.

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