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Philippe Carli (Apig/Ebra) : « La captation des recettes publicitaires par les plateformes est l’une des causes de la crise économique »

Philippe Carli (Apig/Ebra) : « La captation des recettes publicitaires par les plateformes est l’une des causes de la crise économique »
Quatre ans après sa création, l'Apig a réussi à rassembler la presse quotidienne nationale (PQN), la presse hebdomadaire régionale (PHR) et la presse quotidienne régionale (PQR) autour d'objectifs communs. Philippe Carli, président de l'Apig.

Défiance envers les médias, augmentation du coût du papier, accélération sur le numérique et droits voisins, la presse fait face à de nombres défis. Philippe Carli, président de l’Alliance de la presse d’information générale et du groupe Ebra, a répondu aux questions de The Media Leader.

The Media Leader : L’Alliance de la presse d’information générale (Apig) regroupe la PQN, la PHR et la PQR depuis 2018. Quel bilan tirez-vous 4 ans après sa création ? Quels sont les points de convergences et les divergences entre la presse nationale et la presse régionale ?

Philippe Carli : Quatre ans après sa création, l’Apig a réussi à rassembler la presse quotidienne nationale (PQN), la presse hebdomadaire régionale (PHR) et la presse quotidienne régionale (PQR) autour d’objectifs communs. Cette alliance s’est avérée nécessaire et son utilité est reconnue de tous.

Les éditeurs ont su se mobiliser sur des sujets collectifs tels que les droits voisins, la hausse du prix du papier ou encore la rationalisation des outils d’impression, tout en gardant la spécificité de chacune des familles.

Cette vision a porté ses fruits, comme en témoignent les victoires remportées sur les droits voisins ou le retour dans le débat public de la question du financement de l’information.

Nous devons continuer à rassembler plus largement et être solidaires car nous sommes face à des interlocuteurs (les BigTech) plus puissants que jamais, et alors que l’IA générative accroît les risques de désintermédiation entre la presse et ses lecteurs.

The Media Leader : L’ACPM a dévoilé les chiffres de diffusion et fréquentation des titres et sites des éditeurs de Presse sur l’année 2023. La PQR a bonne mine, menée par Ouest-France, avec une diffusion payée de 602 830 exemplaires. Ce sont les versions numériques qui boostent les diffusions mais le print poursuit sa baisse ? Comment voyez-vous ces évolutions ?

P.C : Effectivement, les chiffres de diffusion et de fréquentation des titres et sites des éditeurs de Presse pour l’année 2023 dévoilés par l’ACPM montrent une tendance à la baisse de la diffusion papier, avec une décroissance tendancielle de 10% des ventes au numéro. Cependant, les éditeurs poursuivent leurs investissements sur le numérique, avec des résultats encourageants : la PQR a ainsi enregistré une hausse de 20,5% d’abonnements numériques sur le premier semestre 2023, et la presse quotidienne dans son ensemble a connu une augmentation de 11% de ses abonnements numériques. Ces évolutions positives témoignent de l’appétence du public pour la presse et de la capacité des éditeurs à aller chercher ce public avec de nouveaux modes de consommation de l’information.

Cependant, la faible monétisation des contenus en ligne reste un défi majeur pour les éditeurs de presse. Seuls 11% des Français sont prêts à payer pour une information numérique payante, et la captation des revenus publicitaires par les BigTech représente une menace croissante pour le financement de la transition de notre modèle économique. Selon une étude du ministère de la Culture, 45% du marché publicitaire français sera entre les mains des BigTech d’ici à 2040.

La faible monétisation des contenus en ligne reste un défi majeur pour les éditeurs de presse

Philippe Carli, président de l’Apig et du groupe Ebra

The Media Leader : Voyez-vous un jour la fin du papier, notamment pour la presse quotidienne ?

P.C : Bien que la tendance soit à la baisse, le papier reste un support de diffusion important pour de nombreuses personnes, en particulier pour certaines populations qui n’ont pas accès au numérique ou qui préfèrent le format papier. Le papier et le numérique sont des supports complémentaires, avec des usages différents, et il est important de continuer à proposer les deux.

Nous sommes donc loin de la fin du papier. Les éditeurs doivent pour autant s’adapter aux changements du marché et aux nouvelles habitudes de consommation, en proposant des offres numériques attractives tout en continuant à proposer une offre papier de qualité pour ceux qui le souhaitent.

The Media Leader : La presse du dimanche est très disputée entre vos titres et ceux de la presse nationale. Une offre élargie est-elle bonne pour le marché ?

P.C : En effet, cela permet de donner plus de choix aux lecteurs et de répondre à des attentes diversifiées. L’arrivée d’un nouveau titre peut contribuer à une croissance globale du marché, même si cela peut entraîner un léger tassement à court terme. Le lecteur sera le seul juge.

The Media Leader : La part des abonnements numériques dans la presse est en hausse. Est-ce compatible avec un modèle avec publicité ?

P.C : Oui, le financement d’une information de qualité marche sur plusieurs jambes : la publicité est un facteur d’indépendance important. Et la captation des recettes publicitaires en ligne par les plateformes est l’une des premières causes de la crise économique que connaît la presse d’information.

The Media Leader : Les États généraux de l’information ont lieu en ce moment-même, et la question de la concentration des médias y est soulevée. Avec CMA/CGM, CMI, Vivendi et LVMH, il y a d’importants mouvements capitalistes. Doit-on aller vers plus de concentration ?

P.C : Il est vrai qu’il y a actuellement d’importants mouvements capitalistiques dans le secteur de la presse, avec des groupes tels que CMA/CGM, CMI, Vivendi et LVMH qui s’y impliquent.

De là à parler de concentration… Il est important de rappeler la richesse et la variété des publications de presse (plus de 7000 !) et d’actionnariats dans la presse en France, et que le niveau de concentration reste faible par rapport aux pays voisins.

Le fait que de grands groupes s’intéressent à la presse peut être vu comme une chose positive pour le secteur, car cela permet de maintenir une offre pluraliste sur le marché en finançant des titres ou en créant de nouveaux.

La question est surtout de continuer à financer l’information et les rédactions, et ainsi de garantir une presse de qualité et indépendante.

La question est surtout de continuer à financer l’information et les rédactions

Philippe Carli

The Media Leader : La défiance est également un des points majeurs soulevés par les États généraux de l’information. Quels sont les leviers pour améliorer la confiance envers la presse en France ?

P.C : Tout d’abord, il est essentiel de faire de l’éducation aux médias une grande cause nationale. Les citoyens doivent être formés dès leur plus jeune âge à l’analyse critique de l’information, afin de mieux comprendre les enjeux et les mécanismes de la production de l’information.

Les médias doivent de leur côté accroître la transparence sur leurs modes de fonctionnement. Les rencontres avec les lecteurs, les visites d’imprimeries ou encore les explications sur les choix éditoriaux sont autant de moyens de renforcer la confiance du public.

Il est également nécessaire d’améliorer la visibilité des marques médias sur les plateformes numériques, qui sont souvent les principaux vecteurs de fausses nouvelles. Les médias doivent être plus présents et plus visibles sur ces plateformes, afin de mieux informer le public et de lutter contre la désinformation.

Ces États généraux doivent également éviter le piège des solutions simplistes. La confiance se construit dans la durée, grâce à un travail constant et rigoureux, avec l’ensemble des parties prenantes et pas en les opposant.

The Media Leader : Comment renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse ? Quels sont les leviers de l’APIG face aux GAFAM ?

P.C : Les accords signés en 2021 et 2022 génèrent des rémunérations et des périodes de renégociation vont s’ouvrir. L’Alliance a par ailleurs confié un mandat de négociation à la Sacem pour les plateformes qui ne sont pas encore en règle avec la loi. C’est un début de concentration des efforts des éditeurs pour obtenir un meilleur partage de la valeur.

C’est d’autant plus nécessaire que l’émergence des IA génératives rebat les cartes – et prouve plus que jamais l’importance de données et d’informations fiables.

Les éditeurs de l’Alliance sont convaincus que la transparence est un préalable indispensable à la fois au succès économique des outils d’Intelligence Artificielle Générative et à leur bon fonctionnement dans une société démocratique. Cet enjeu ne se limite pas à la question du financement du journalisme, mais met également en jeu la confiance des citoyens dans l’information.

The Media Leader : Le groupe Ebra a été recapitalisé par son actionnaire, le Crédit Mutuel, à hauteur de 458 millions d’euros. Comment se porte le groupe aujourd’hui ? Quelle est sa roadmap ?

P.C : La dette était connue dès le départ. Une action n’était pas véritablement nécessaire urgemment alors que les taux d’intérêt étaient bas. La hausse des taux d’intérêt étant active, il a été décidé de pratiquer une restructuration de la dette.

Cela ne change rien à l’intérêt du Crédit Mutuel pour son pôle presse. Pour preuve notamment : un tiers de la somme est prévue pour des actions de développements du groupe Ebra. Le Crédit Mutuel réaffirme sa volonté de participer à la démocratie, notamment la démocratie au niveau des territoires et donc la PQR

Cependant, le groupe Ebra et ses titres de presse n’échappent pas aux difficultés rencontrées dans le secteur, et certains de ses journaux ont enregistré des pertes en 2023, en raison notamment des fortes augmentations du prix du papier et de l’énergie. Pour faire face à cette situation, des plans de transformation ont été mis en place par toutes les filiales et les titres du groupe, comprenant un volet d’économies, mais aussi des développements.

Le groupe Ebra et ses titres de presse n’échappent pas aux difficultés rencontrées dans le secteur

Philippe Carli

The Media Leader : Ebra a annoncé utiliser puis suspendre l’utilisation ChatGPT dans ses rédactions. Pourquoi ? Comment voyez-vous l’arrivée de l’IA dans la presse ? Quels sont les bénéfices et les dangers de son utilisation ?

P.C : L’utilisation de l’IA dans les rédactions du groupe Ebra a été temporairement suspendue afin de bien définir les modalités de son utilisation avec les représentants du personnel. L’expérimentation a eu lieu pendant trois mois au niveau du SR éditeur, sur une seule édition de “L’Est Républicain”, et a été utilisée pour le secrétariat de rédaction des textes de correspondants locaux. Les journalistes restent responsables du choix, de la hiérarchie de l’information, de la première et de la dernière relecture ainsi que de la validation finale pour publication.

L’utilisation de l’IA a permis de faciliter la correction orthographique, grammaticale et syntaxique de plus de 700 papiers, d’ajuster ces textes au format attendu et de faire des propositions de titres et de chapô optimisés en SEO. Les résultats sont globalement prometteurs en termes de fiabilité et de gain de temps, et ont permis une vraie acculturation des équipes.

Les résultats sont globalement prometteurs en termes de fiabilité et de gain de temps et ont permis une vraie acculturation des équipes. La question n’est pas de savoir si l’IA va arriver dans la PQR, mais bien la manière dont nous allons l’utiliser et l’optimiser pour accompagner le travail de nos équipes dans le respect de nos ambitions éditoriales et des valeurs de notre métier. Cette première expérimentation en amènera d’autres au sein du groupe Ebra.

The Media Leader : Vous avez annoncé vouloir capitaliser sur l’événementiel. Ebra vient d’organiser Tech&Fest à Grenoble. Le modèle hybride mêlant médias et événements est-il l’avenir de la presse ?

P.C : L’exemple de Tech&Fest organisé par Ebra illustre bien cette tendance. En effet, en s’appuyant sur la puissance de ses titres, comme « Le Dauphiné Libéré », et sur l’expertise de sa filiale events, Ebra Events, le groupe a réussi à rassembler 15 000 visiteurs, dont plus de 4 000 jeunes et 500 start-up pour la première édition de cet événement autour des nouvelles technologies.

Cette stratégie permet de créer de nouveaux modes d’engagement autour d’événements positifs pour la société et/ou l’environnement, tout en renforçant la proximité avec les lecteurs et les parties prenantes d’un territoire ou d’un écosystème. Ce modèle hybride permet également de diversifier les sources de revenus de la presse, en générant des revenus complémentaires grâce à l’organisation d’événements, tout en renforçant la visibilité et l’impact des titres de presse. Cependant, il est important de veiller à ce que cette stratégie ne se fasse pas au détriment de la qualité et de l’indépendance journalistique.

Avec plus de 300 événements organisés par Ebra Events, le groupe souhaite mobiliser et fédérer les acteurs locaux pour participer à la construction de la société de demain.

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